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CORNEILLE.

Il la pourvue de tous ses instruments, organes, caractères. Il en a montré les propriétés et le jeu. Un problème précis dont l’action présente tous les aspects, toutes les difficultés, oscille entre les diverses solutions possibles, et dont le dénouement, surprenant et logique, fait sortir l’unique solution nécessaire ; une étude de moyens et de causes pris le plus qu’on peut dans le cœur humain ; une action presque exclusivement morale, ou d’intérêt moral, restreinte et continue, de façon qu’il n’y ait rien d’inutile, rien d’étranger à la préparation du fait final ; peu de personnages, minutieusement étudiés, mais toujours plutôt dans leur possibilité d’agir que dans leur capacité de souffrir, des divisions intérieures et des oppositions réciproques, donc toujours des combats de volontés, voilà la tragédie que Corneille a posée. Et tout cela, il l’a transmis à ses successeurs.

Racine n’a point, quoi qu’on en ait dit, changé la poétique de Corneille. Il a pu la perfectionner, si l’on veut, ou remédier aux inconvénients que l’usage découvrait. Il a pu apporter son imagination, sa sensibilité, et faire des œuvres absolument originales. Il a pris une autre matière, qu’il a traitée avec un autre tempérament. Mais il n’a point changé la constitution de la tragédie.

M. Brunetière oppose la poétique de Racine à celle de Corneille : celui-ci veut que les grands sujets soient invraisemblables ; celui-là exige la vraisemblance[1]. Je ne vois pas là de contradiction.

  1. Manuel d’histoire de littérature française, Delagrave, in-8.