Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
189
L’INFLUENCE DE CORNEILLE.

En prenant ses sujets dans la légende ou l’histoire, Racine a choisi des événements que Corneille eût dit « aller au delà du vraisemblable ». Et tous les deux sont d’accord sur la nécessité et sur les moyens de donner par les caractères une préparation vraisemblable à ces effets invraisemblables.

C’est sur son autre point que Racine me semble avoir été inventeur après Corneille dans la technique de la tragédie. Corneille arrivait à se passer d’émotion, et en semblait prendre son parti. Racine, averti par les Grecs, et par son instinct de poète, a compris qu’il n’y avait pas de tragédie sans pathétique. Mais, il n’a point cherché ces effets dans un retour à la forme de la tragédie grecque : il maintient plus fortement que personne le caractère de psychologie en action que Corneille avait donné à la tragédie française. Seulement ayant à développer les motifs d’une résolution, à démonter les ressorts d’un événement, il a choisi des sujets d’amour, où tout ce qui est délibération fût en même temps déchirement, et tout ce qui est préparation fût souffrance. Il a fait que l’agent fût victime de son action, et victime même en la choisissant, en la discutant, en la cherchant : en sorte que la matière de l’analyse fût une série d’états par eux-mêmes pathétiques. Ce n’était pas déformer le type de la tragédie classique tel que Corneille l’avait créée : c’était le consolider, au moins pour un temps.

Ce qui tombe de la tragédie cornélienne, chez Racine, ce n’est pas la technique, la pratique de métier, les règles et procédés de facture : c’est la matière, dépendant et du milieu social et du tempe-