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CORNEILLE.

C’est un hasard étrangement ironique ou une haute leçon d’esthétique théâtrale que, dans l’œuvre du fondateur de la tragédie classique, le vulgaire des spectateurs ait peut-être préféré, le vulgaire des auteurs ait surtout imité ce qu’il y avait au fond de plus contraire à la définition générale et à la pure essence de cette tragédie.

Est-ce pour cela qu’on a fait de Corneille un romantique ? et que la préface de Cromvell, puis tous les théoriciens de l’école, ont rendu honneur au bonhomme ? Je ne le pense pas. Corneille a bénéficié de deux circonstances très simples : son premier chef-d’œuvre, puis Don Sanche, étaient faits sur des sujets espagnols. Or, en 1830, le classique, c’était l’antique : l’Espagne était une source romantique. Ceux qui exploitaient le romancero ne pouvaient jeter la pierre à l’imitateur de Guilhen de Castro ; Hernani était fils de Don Sanche, et Ruy Blas au moins filleul de Ruy Dias de Bivar. En second lieu, le classique, c’était Racine : Corneille paraissait romantique de toute la différence qui le séparait de Racine. Mais s’il fut moins insulté, il ne fut pas plus imité que Racine : et la technique du drame romantique ne lui doit rien.

L’influence morale d’un écrivain est toujours délicate à constater. Car s’il s’agit de la part qu’il faut lui attribuer dans la formation d’un caractère ou d’une volonté, cette action intime presque toujours reste secrète et nous échappe : il est rare que les cœurs livrent leur mystère au public. La plupart des témoignages sont des témoignages d’écrivains,