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L’INFLUENCE DE CORNEILLE.

toujours un peu suspects, parce qu’il y a des chances qu’ils expriment un jugement réfléchi du mérite virtuel de l’œuvre, autant qu’une impression ressentie de sa réelle opération. Il en est de même des décisions de l’opinion publique, qui peuvent résulter autant de ce que tous ont appris de leurs maîtres et de la critique que de ce que chacun a éprouvé dans son expérience intime. Cependant il faut bien s’en rapporter à ces témoignages et à l’opinion publique ; et on le peut, après tout, sans trop risquer de se tromper, puisque cela aide au moins à définir les propriétés intrinsèques des œuvres, et leurs possibilités d’influence : puisque, d’ailleurs, si la réalité et l’expérience démentaient violemment ou fréquemment l’idée qu’on s’en fait, cette idée sans doute ne pourrait pas subsister.

On n’a jamais eu de doute sur l’influence que Corneille peut exercer : sa tragédie est une école de grandeur d’âme. Elle fait aspirer aux grands efforts, aux passions nobles, aux sacrifices héroïques. Jamais le sentiment public n’a varié là-dessus.

Une seule réserve fut faite au temps de Corneille : et ce fut par des chrétiens. Pascal craignait l’infirmité de notre nature : « qui veut faire l’ange fait la bête », qui veut être Dieu, tombera au-dessous de l’homme. Plus l’amour représenté est « chaste et honnête »[1], plus les passions de la comédie sont innocentes et nobles, plus les âmes pures sont tranquillisées, et s’abandonnent sans scrupule à des émotions qui sont le privilège des belles natures.

  1. Pensées, édit., XXIV, 64.