Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
CORNEILLE.

Mais il y a loin de la poésie à la réalité, et lourdes sont les chutes de ceux qui ont cru s’élancer vers les hauteurs de la vertu à la suite des héros de théâtre. Il n’y a point de doute que cette condamnation ne tombe sur Corneille principalement. Bossuet[1] reconnaît que Corneille sacrifie l’amour à l’honneur, à la gloire : mais qu’est-ce que l’honneur et la gloire, sinon l’orgueil, la plus subtile et la plus dangereuse des concupiscences ? Là où manque l’humilité chrétienne, l’héroïsme, la vertu, le dévouement ne sont qu’illusions de la nature corrompue et pièges pernicieux du démon.

Mais c’est là tout simplement la critique de l’idéal stoïcien au nom de l’idéal évangélique. Ni Pascal ni Bossuet ne vont contre l’opinion qui donne à Corneille la puissance d’exalter les cœurs, et de leur faire désirer les occasions de manifester leur noblesse par les efforts qui coûtent.

Une subtile et pénétrante objection a été faite de nos jours. « Avouons-le donc une fois, dit M. Brunetière[2], ce n’est proprement ni le devoir ni la passion qu’il s’est plu à nous représenter, c’est la volonté, quel qu’en fût d’ailleurs l’objet. » Cela est parfaitement vrai. Et les héros de Corneille n’agissent pas toujours en honnêtes gens, selon la simple et certaine vertu. Je trouve de la vertu parfaitement pure dans Auguste et dans Polyeucte, une belle honnêteté dans Sévère : mais Horace est une brute féroce quand il tue sa sœur. Rodogune est tout au moins trop « habile », quand elle demande à deux

  1. Maximes et réflexions sur la comédie.
  2. Époques du théâtre français, 3e conférence.