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CORNEILLE.

Ainsi Corneille ne nous exprime pas la vertu, mais la volonté ; et M. Brunelière, très justement, a rapproché cette conception de l’idée de la virtù chez les Italiens de la Renaissance. D’où vient donc que cette peinture de l’héroïsme, qui n’est pas nécessairement morale, qui devient même, dit-on, « une école d’immoralité », a toujours passé pour être la plus haute leçon de morale que le théâtre ait donné ?

C’est qu’à mon avis on se trompe lorsque l’on pense que Corneille n’a eu souci que de la volonté, sans se préoccuper de l’objet où elle s’appliquait. Il est vrai qu’il a toujours estimé la volonté, même mauvaise. Mais, nous l’avons vu, il a fait consister l’héroïsme en deux choses : une maxime vraie et une volonté forte ; l’idéal, c’est de vouloir le vrai bien, le connaissant. Mais précisément, ce qui distingue les hommes, ce qui met entre eux de l’inégalité, quand la volonté est également énergique, c’est la différence des maximes : on vaut plus ou moins, selon que la connaissance est plus ou moins véritable. La morale retrouve ici ses droits ; et l’on ne peut pas dire que Corneille, tout en admirant partout l’énergie du vouloir, nous laisse indécis sur la valeur des actes de Cléopâtre ou de Cornélie, de Polyeucte et d’Horace, d’Auguste et d’Attila, et les propose également à notre imitation. Corneille n’est nulle part, semble-t-il, indifférent à la moralité des actes : il ne peut l’être, puisqu’il examine toujours la vérité des motifs.

Il ne faut pas aussi se laisser abuser parce que la morale évangélique blâme certaines actions que