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L’INFLUENCE DE CORNEILLE.

Et enfin, moins on a d’énergie passionnelle, moins on aura d’énergie volontaire. Non pas seulement parce que l’énergie volontaire n’est que de l’énergie passionnelle transformée : la volonté suppose un objet idéal, qui détourne vers soi et aspire toute la force des instincts et des appétits ; il faut aimer le bien conçu et faire refluer dans cet amour toute l’énergie du cœur, pour avoir autre chose qu’une velléité d’y marcher. Et la volonté n’est peut-être que la faculté de distribuer les poids intérieurs d’où dépend l’action, et comme d’ouvrir ou fermer les écluses pour faire écouler d’un côté ou de l’autre notre puissance d’agir. Mais de plus, quand les passions sont fortes, elles entretiennent la volonté forte. Elles font du moins concevoir, dès qu’on réfléchit, la nécessité d’une volonté forte ; elles obligent à la former ; elles l’exercent ; elles ne la laissent pas s’atrophier par l’inaction. Tout organe s’accroît par le travail qu’il fournit ; toute faculté se développe par l’exercice qu’on en fait. C’est la violence, la brutalité, les amours et les ambitions frénétiques, les appétits inouïs de sang et de volupté, qui donnent la matière de l’activité volontaire. Qui n’a jamais senti s’agiter au fond de soi le gorille féroce ou lubrique de Taine a des chances de mourir dans la peau d’un honnête bourgeois, mais aussi de ne savoir jamais ce que c’est qu’un acte de volonté, de maîtrise de soi sur soi, à moins qu’il n’ait le bonheur de vivre parmi des fauves déchaînés, et d’être comme jeté dans la fosse aux lions. Il faut à la volonté de la persécution, extérieure ou intérieure. On ne résiste qu’à ce qui presse ; on ne dompte que ce qui