Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
LA VIE ET L’HOMME.

Chez cette race nouvelle
Où j’aurai quelque crédit
Vous ne passerez pour belle
Qu’autant que je l’aurai dit.

Pensez-y, belle Marquise :
Quoiqu’un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu’on le courtise,
Quand il est fait comme moi.

La belle, semble-t-il, était pis que cruelle, elle opposait une égale et désespérante douceur à la galanterie du vieux poète : il eût préféré être haï ; et, comme fera plus tard son Attila, il provoquait les mépris qui devaient le rendre à lui-même :

Hélas ! et j’espérais que votre humeur altière
M’ouvrirait les chemins à la révolte entière ;
Ce cœur que la raison ne peut plus secourir,
Cherchait dans votre orgueil une aide à se guérir ;
Mais vous lui refusez un moment de colère !…
Une heure de grimace ou froide ou sérieuse,
Un ton de voix trop rude ou trop impérieuse.
Un sourcil trop sévère, une ombre de fierté,
M’eût peut-être à vos yeux rendu ma liberté.
J’aime, mais en aimant je n’ai pas la bassesse
D’aimer jusqu’aux mépris de l’objet qui me blesse :
Ma flamme se dissipe à la moindre rigueur….

Cet amour ne fut pas une passion, ce fut un sentiment vif, où le désir discret et la souffrance fine se masquaient d’esprit et de fierté. Le vieillard resta bien maître de lui : il se voyait, il ne prétendait pas « cœur pour cœur », n’avait pas de colère contre la coquette, contre ses rivaux :

J’en ai, vous le savez, que je ne puis haïr.


Il voulait parler de son frère Thomas, qui, avec moins de génie et moins d’âge, était mieux le fait de la