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CORNEILLE.

parait à écouter l’invitation que lui adressa le surintendant Fouquet ; il crut se retrouver tout entier :

Je sens le même feu, je sens la même audace
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace ;
Et je me trouve encor la main qui crayonna
L’âme du grand Pompée et l’esprit de Cinna.

À ce rajeunissement contribua sans doute une troupe de comédiens, qui séjourna à Rouen en 1658. Molière et ses camarades jouèrent certainement les chefs-d’œuvre de Corneille et lui donnèrent le désir de montrer qu’il pouvait seul encore en faire de pareils.

Ici se place l’unique épisode qui, avec celui de Mlle Hue, nous découvre dans l’existence si peu orageuse du bourgeois normand un éclair de vie sentimentale. Il y avait dans la troupe de Molière une jeune actrice de vingt-cinq ans, Marquise Thérèse de Gorla, mariée à l’acteur Du Parc : elle devait brouiller plus tard Molière et Racine, lorsque celui-ci l’enleva à la troupe du Palais-Royal pour lui faire jouer Andromaque à l’Hôtel de Bourgogne. Elle semble avoir été le grand amour de Racine. Corneille ne la vit pas non plus avec indifférence ; il lui adressa des vers où l’esprit enveloppe discrètement le sentiment.

Il se plaignait de n’être pas aimé : avec une originale fierté, il comparait les charmes du visage de la comédienne aux charmes de son esprit de poète :

Vous en avez qu’on adore,
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés…