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CORNEILLE.

l’on veut à toute force parler de misère, il faut entendre la misère bourgeoise, la gêne, les tracas, le souci de joindre les deux bouts, non la vraie pénurie, le péril de la faim et du froid. C’est la misère des gens qui ont un patrimoine et laissent un héritage.

Mais pourtant les plaintes du poète ? les appels au roi, à Colbert, au Père de La Chaise ? Tous les mendiants ne sont pas des gueux et tous les grands poètes ne font pas fi de l’argent. On prétend que Corneille a dit : « Je suis saoul de gloire et affamé d’argent ». Cela nous garantit le désir et non pas le besoin. Il se faisait plus misérable qu’il n’était pour attendrir et obtenir : sa sollicitation, comme sa flatterie, était gauche, pesante, outrée. Il n’avait pas réfléchi que les grands accordent plus volontiers à l’agrément de la requête qu’à l’évidence de la nécessité ; et il exagérait sa nécessité. Il avait gardé les idées de ses devanciers inconnus, de ces trouvères et jongleurs pour qui la « largesse » était la vertu cardinale du prince et du baron ; il écrivait à la gloire de Mazarin, lorsqu’il fut son pensionnaire :

Je la revois enfin cette belle inconnue,
Et par toi rappelée, et pour toi revenue,…
Cette haute vertu, cette illustre bannie,
Cette source de gloire en torrents infinie,
Cette reine des cœurs, cette divinité ;
J’ai retrouvé son nom : La Libéralité.

Après tout, ce n’est pas la seule fois qu’un grand poète a eu l’esprit très positif et attaché aux intérêts matériels. Le bon Corneille avait de plus son idée de derrière la tête : les pensions, gratifications, parts d’auteur, produits de la vente, c’étaient les