Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
LA VIE ET L’HOMME.

signes certains du succès, de la gloire. Les louanges se laissent aisément surprendre ; mais les gens gardent bien leur bourse, et le dernier effort du génie est de faire mettre la main à la poche : comment douter d’une admiration qui se traduit en espèces sonnantes ? Pour sa gloire, Corneille tenait à être bien payé.

Là est la vraie misère de ses dernières années. Ce qu’il sollicite si âprement, ce n’est pas l’argent seul, dont il ne fait pas fi ; c’est surtout l’estime, dont l’argent porte le témoignage : il veut garder son rang, qui était le premier. Être sur l’état des pensions, obtenir pour soi, pour son fils, c’est la marque que le nom de Corneille a toujours sa valeur, qu’on ne l’oublie pas. La détresse du poète est celle d’une fierté que l’abandon du public humilie douloureusement. Lorsqu’il apprit que le roi, dans l’automne de 1676, avait fait représenter devant lui, à Versailles, six de ses tragédies, il en fut comblé de joie. Il en fit un remerciement qui se termine en supplique : mais, s’il coula dans un vers la demande d’une abbaye pour son fils Thomas, plus instamment et plus nettement, il sollicita pour ses dernières œuvres la faveur d’être jouées devant la cour. « Achève, dit-il à Louis XIV,

Achève : les derniers n’ont rien qui dégénère,
Rien qui les fasse croire enfants d’un autre père ;
Ce sont des malheureux étouffés au berceau
Qu’un seul de tes regards tirerait du tombeau…
Et ce choix montrerait qu’Othon ni Surena
Ne sont pas des cadets indignes de Cinna.
Sophonisbe à son tour, Attila, Pulchérie
Reprendraient pour te plaire une seconds vie ;
Agesilas en foule aurait des spectateurs.
Et Bérénice enfin trouverait des acteurs.