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LE THEÂTRE AVANT CORNEILLE.

machiniste encore trop peu avancé pour qu’on adoptât le système des décors successifs : le changement donnait trop de peine, et l’illusion était compromise. Les unités rigoureuses l’emportèrent donc, et le théâtre devint impraticable aux romans intrigués qui avaient si fort enchanté le public pendant plus d’un quart de siècle. Il fallait trouver un drame capable d’avoir toute son ampleur dans les cadres étroits de quelques heures et d’une chambre. C’est ici que Corneille se présente.

J’ai esquissé l’aspect extérieur de notre théâtre au temps où paraît le premier chef-d’œuvre : mais il faut essayer d’en comprendre l’état interne, et le sens de l’évolution qui s’accomplissait depuis un siècle[1]. Il nous faut pour cela remonter aux origines.

On se représente en général la tragédie française comme s’étant développée toujours dans le même sens depuis que Jodelle donna sa Cléopâtre. Les tragédies du xvie siècle, dit-on, sont mauvaises, et écrites par des hommes à qui manque le sens du théâtre : mais elles sont classiques. Hardy apporte ce sens du théâtre. Mairet, Rotrou, Tristan, enfin Corneille perfectionnent le moule. Il n’y aurait de l’Hippolyte de Garnier à la Phèdre de Racine, et de l’Écossaise de Montchrétien au Polyeucte de Corneille, que la différence d’une tragédie mal faite à une tragédie bien faite. Cette opinion est erronée et rend

  1. Je ne puis ici qu’indiquer ces vues sur l’évolution de la tragédie française et la formation du modèle classique, qui sont assez différentes des idées généralement reçues. J’en donnerai ailleurs une explication plus ample et une justification exacte.