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LE THEÂTRE AVANT CORNEILLE.

suivre le fait. Selon qu’on travaillera dans l’un ou dans l’autre système, Œdipe roi sera achevé, dès qu’éclairci de toute sa destinée, Œdipe s’est puni, ou bien la tragédie se prolongera parce que, la connaissance étant complète, alors commence la plus pure et la plus profonde souffrance.

Le premier système est celui du xviie siècle, le second est celui du xvie siècle. Tout opposés qu’ils sont l’un à l’autre — l’un étant une action, l’autre une « passion », — on les a confondus, parce qu’ils sont deux copies du même original, la tragédie grecque. Mais ils en répètent des aspects divers, et chacun des deux néglige la face que l’autre reproduit.

Nos poètes du xvie siècle, hommes d’imagination et de sensibilité, artistes délicats, nullement psychologues, à qui l’histoire et la légende, comme la vie, étaient moins une matière d’étude qu’une source d’émotions, qui voyaient moins les causes que les formes, interprétèrent les modèles antiques selon leur tempérament : d’autant plus aisément que, comme l’a dit si justement M. Croiset, la tragédie des Grecs est par essence « une lamentation active ». Ils n’aperçurent pas l’activité, non plus que le caractère religieux et national ; mais ils comprirent que le drame était la souffrance d’un héros, que le sujet tragique était par essence un fait atroce ou douloureux, un accident extraordinaire et horrible, un crime hors nature et révoltant, enfin quelque exemple épouvantable de la misère humaine et de l’impénétrable fatalité.

Ils étaient guidés dans cette conception par les Italiens, nos maîtres à cette époque en toute civilisa-