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CORNEILLE.

tout cela, c’est la suprême vraisemblance de ces pièces : à lui seul le style est la vie, est la vérité. Ce n’est pas la poésie de Rotrou, le rêve délicieux d’un monde qui n’existe pas : c’est un bon sens exquis et net. Quand de Cléagénor et Doristée ou d’Agésilan de Colchos on passe à la Veuve ou à la Place Royale, il semble que l’on quitte le pays des chimères pour entrer dans le réel, et que la folle poésie fait place à la raison pénétrante.

Il est bien vrai qu’il n’y a guère de comique dans cette comédie. Dans Mélite et dans la Veuve, Corneille marque d’une couleur assez crue le caractère de la Nourrice, caractère bas et trivial qu’un homme jouait en charge sous le masque : mais il rompt vite avec cet usage, et dès sa troisième comédie, il substitue à la nourrice le personnage plus délicat et sérieux de la suivante. Les traits les plus forts, les situations les plus intriguées, un poltron qui se dérobe, un traître qui brouille les cartes ou qu’on démasque, un malentendu qui se prolonge, ne vont qu’à faire sourire : jamais le franc rire n’éclate.

L’Illusion comique est d’un autre genre que les cinq premières comédies : Corneille y quitte sa manière pour s’inspirer de ce qui se faisait autour de lui. Le public avait pris goût à voir mettre en scène les comédiens, c’est un des signes où l’on reconnaît qu’une époque a la passion du théâtre. Corneille, exploitant cette veine après Gougenot et Scudéry, fit paraître des comédiens jouant une tragi-comédie et se partageant la recette après le spectacle. Ce furent les deux derniers actes de sa comédie.