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LES COMÉDIES DE CORNEILLE.

Quant aux trois premiers, comme il y avait au Marais un acteur qui s’était fait une spécialité du caractère faux brave, Corneille les emplit du personnage de Matamore ; il dessina une caricature énorme, d’une fantaisie éclatante et pourtant délicate. On aimait alors la magie, fort commode au reste pour produire à point nommé des situations. Corneille s’en prévalut pour encadrer les éléments incohérents de sa pièce, et réduire son exubérante invention aux strictes unités de temps et de lieu. Il a fait ainsi une œuvre extravagante et frivole, jamais ennuyeuse, où il a trouvé le ton de la franche bouffonnerie qui reste littéraire.

La comédie qui fait rire, s’ébauchait dans l’Illusion, elle se perfectionne dans le Menteur, œuvre de médiocre portée, mais de grand agrément. Ce n’est point le menteur que Corneille a peint, c’est le hâbleur : la différence est grande. Le rire naît en général des situations : mais les situations sont commandées et créées presque toutes par le travers irrésistible de Dorante. Ainsi l’œuvre sert de passage entre la comédie à quiproquos et la comédie de caractère. L’impression morale est nulle : et c’est la faiblesse encore de cette pièce. La scène célèbre où Géronte gourmande son fils, si belle quand on la détache, gêne et embarrasse quand on la replace dans l’intrigue : elle est trop réelle, et elle oblige à prendre au sérieux les fantaisies du menteur. Il y a donc encore quelque incohérence dans l’œuvre ; le comique n’est obtenu qu’aux dépens du vrai. Pour faire rire par les honnêtes gens qu’il met en scène, Corneille a dû les éloigner de la réalité. Mais il n’estime plus