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CORNEILLE.

moins la choisir belle ». La pensée persistante de l’Académie sur le Cid, et qui se déclare même à travers les éloges semés çà et là avec une indulgence affectée, c’est que « le plus expédient eût été de n’en point faire de poème dramatique ».

Il eût été « expédient » que Corneille ne fît point le Cid ! Voilà l’arrêt de M. Chapelain et de toute l’Académie. Le plus surprenant, c’est que Corneille souscrivit en partie à cette décision. Il ne se repentit pas d’avoir fait le Cid, mais il n’en fît pas un second. Je veux dire qu’il ne chercha plus ses modèles dans le théâtre espagnol ; il alla à l’antiquité, à l’histoire, où Chapelain le renvoyait, et fit Horace, puis Cinna. Il ne reviendra à l’Espagne, dans le sérieux, que dix ans après, avec Don Sanche.

On peut mesurer par là l’impression que firent sur lui les Sentiments de l’Académie. Elle fut profonde et ne s’effaça jamais. Cette pédantesque leçon, où il était taxé d’ignorance et de manque de jugement, l’amena à se plonger dans la Poétique d’Aristote, et dans les Commentaires de la Poétique : il lut Robortello, Minturne, Castelvetro, Béni, Heinsius, Parius, Victorius. Il étudia toute sorte d’œuvres de théâtre, anciennes et modernes, les Grecs et les Latins, Hardy, Tristan, Ghirardelli, Stefonius. Il ne fit plus une pièce sans se munir à l’avance de réponses topiques à toutes les chicanes possibles sur l’invention, ou la conduite, ou la justesse du temps et du lieu. Au bout de vingt ans, il pensait encore aux Sentiments de l’Académie, et c’était pour les réfuter en même temps que pour répondre à certains endroits du livre récemment paru de l’abbé