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CORNEILLE.

consacré. Le texte autorisé, dans l’espèce, était celui d’Aristote : Corneille s’y est attaché ; et, avec une adresse qui eût fait honneur à un docteur de Sorbonne, il en a fait sortir ses propres idées. La gêne que nous trouvons dans ses déductions est précisément le signe de l’indépendance originale de ses pensées.

Mais il n’a pas pris la Poétique d’un bout à l’autre pour y accrocher ses conceptions : il a choisi les questions qu’il estimait essentielles ; il a parcouru successivement celles qui se rapportaient à l’art dramatique en général, puis celles qui regardaient la tragédie en particulier ; et enfin il a examiné la question alors brûlante entre toutes, celle des unités.

Il a traité tous ces problèmes avec une sérieuse conviction, en homme qui a longuement réfléchi sur son art ; s’il n’est pas toujours facile à suivre ni divertissant, et s’il use de phrases techniques ou pédantes, c’est qu’il parle métier et veut être précis. Il fuit le lieu commun et le développement littéraire : c’est un mérite. Je ne sais pas d’écrits où un auteur dramatique ait plus loyalement, plus attentivement, plus intelligemment étudié ou expliqué son art.

Corneille se demande d’abord si la tragédie a un but moral. Scudéry, l’Académie, n’hésitaient pas à répondre par l’affirmative. D’Aubignac la nommait « l’École du Peuple ». Corneille dit : « La poésie dramatique a pour but le seul plaisir du spectateur ». Il le répète en maint endroit : le but de l’art, c’est de plaire. Et l’on plaît par l’imitation de la nature, par la vérité du portrait qu’on offre de l’humanité. Sans doute une certaine utilité morale se rencontre bien