Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
64
CORNEILLE.

une fois choisi, soit le même jusqu’au bout de la pièce. Et qu’il soit unique aussi, car la scène n’étant pas large, il n’y a pas de vraisemblance à supposer que le côté droit est Paris et Rome le côté gauche. Pour le temps, le spectateur sait bien qu’il passe deux ou trois heures au théâtre : ne lui montrez donc pas des années ou des mois ou des semaines de la vie d’un héros. Voilà le principe rigoureux : le portrait le plus vrai est celui qui est grandeur nature ; trois heures de la vie pour trois heures de représentation ; une chambre ou une place de quelques toises pour quelques toises de scène.

Mais cette rigueur d’interprétation va mettre Corneille à l’aise et lui rendre sa liberté. Les règles, pour les théoriciens, sont des formules absolues : vingt-quatre heures, un lieu. En les poussant à leur principe, il semble les resserrer ; mais il les élargit : d’absolues, il les fait relatives. Elles deviennent un idéal, un maximum de concentration, qui variera avec les sujets. Ce qui peut se mettre en douze heures n’a pas droit à se dilater : mais ce qui a besoin de trente heures ne doit pas s’étrangler. Les théoriciens, qui ne sont pas hommes de théâtre, ne voient que la règle invariable. Corneille voit les sujets, inégalement constitués. Chaque sujet a son caractère, sa beauté, qu’il s’agit de réaliser. Et c’est là l’important. Certains se ramènent facilement à la règle, d’autres plus malaisément ; ce ne sera pas une raison pour rejeter une belle matière. Il suffira d’avoir fait tout ce que la constitution du sujet permettait de faire. La vraisemblance et les unités seront suffisamment gardées, si l’on ne prend jamais plus