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CORNEILLE.

recherche ni ne repousse la couleur locale. C’est un accident si nous la trouvons dans sa peinture. Il ne la connaît pas. Il y est indifférent. Il ne voit pas l’image pittoresque du passé. Il connaît des faits, des caractères : mais qu’il y ait, indépendamment des faits qui sont la trame de l’histoire et qui donnent le dessin de l’intrigue tragique, indépendamment des caractères où se manifestent les types divers de l’humanité morale, qu’il y ait une couleur, quelque chose d’unique et de propre qui fasse une époque, un homme différents de toutes les époques et de toutes les personnes, en vérité il ne s’en doute pas.

Aussi procède-t-il avec toute la candeur de l’inconscience. Y a-t-il rien de Lombard ou de Hun dans Pertharite ou dans Attila ? il n’est pas d’écolier de troisième qui n’enseignât aujourd’hui à Corneille à donner par un choix de détails la vision de ces barbares. Il ne reste rien de réel dans Attila que le saignement de nez, qui fait une note fausse, parce que la tragédie nous a transporté en dépit des noms dans un tout autre monde. Jamais Corneille n’a semblé voir les admirables restitutions du passé où ses sujets l’invitaient : dans Sophonisbe, trois races, trois civilisations, Romains, Numides, Carthaginois ; costume, état social, mœurs, dieux, tout était différent, tout contrastait : quel sujet pour un Flaubert ! Dans Pompée, encore des Romains, mais en contraste cette fois avec l’Égypte hellénisée, la brutalité du conquérant fasciné, ébloui, enragé de jouir, la corruption savante et folle des vaincus, le cadre fastueux et fantastique des palais et des temples, les dieux prodigieux et inquiétants ; il y avait