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CORNEILLE.

c’est-à-dire que l’histoire est, pour les particuliers, une morale ; pour les peuples et leurs directeurs, une politique.

Ce dernier objet est le propre emploi et la fonction essentielle de l’histoire, dans les idées du temps. La morale peut s’apprendre par ailleurs : la politique ne se trouve que dans l’histoire, où sont recueillies les leçons de l’expérience de tous les siècles. L’histoire est un cours de politique expérimentale. Ainsi Machiavel avait-il entendu Tite-Live.

Depuis nos guerres civiles, les classes supérieures en France s’intéressaient vivement à la politique ; jusqu’au gouvernement personnel de Louis XIV, il n’y avait personne pour penser qu’il fallait abandonner aux rois et aux ministres tout le souci de la chose publique. On lisait avec empressement la Politique de Juste Lipse, un recueil de maximes extraites des historiens de l’antiquité. Balzac écrivait, en courtisan du pouvoir absolu, mais aussi en patriote animé contre l’ambition espagnole, l’Aristippe et le Prince ; Scudéry étendait des lieux communs de morale politique dans ses Discours politiques des rois, et Silhon justifiait par le raisonnement et l’observation la politique de Richelieu dans son Ministre d’État. Chapelain, dans ses Lettres, s’occupait encore plus du gouvernement intérieur et des affaires du dehors que des œuvres et des règles de la littérature. On était toujours sûr de plaire, quand on savait disputer sur la meilleure forme de gouvernement, sur les factions et les alliances, sur la conduite des rois et des ministres.

Voilà le goût qu’a suivi Corneille. Et il ne pouvait