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CORNEILLE.

Pulchérie n’est peut-être pas une pièce émouvante : mais c’est une bien jolie chose. Il s’agit encore de l’élection d’un empereur : seulement ce n’est plus un héritier qu’il faut désigner, c’est un mari. Pulchérie règne, mais le sénat veut un maître, et l’impératrice lui en remet le choix. Corneille nous montre toute la manipulation de l’affaire. Le candidat sans espoir, Léon, imagine une manœuvre qui obligera le sénat à laisser l’impératrice maîtresse de l’élection ; étant le plus jeune, et bien vu de la souveraine, il se croit sûr de passer devant ses concurrents plus fournis de titres. Mais un obstacle surgit, dans la volonté de Pulchérie même : sa politique, à elle, était de se faire imposer son amant, non de le choisir. Elle voulait qu’il lui fût désigné comme digne, et non le proposer comme aimé ; elle craint pour leur autorité, si l’empereur n’est qu’un beau jeune homme pour qui sa maturité aura eu des bontés. Ces scrupules font arriver l’outsider Martian, qui a l’âge et la dignité. Pulchérie l’élit à condition de n’être sa femme que de nom, et d’adopter Léon. Il y a là un chassé-croisé d’offres, de manœuvres, de marchandages, de sourds dépits et de convoitises marquées, qui est la vie même, la vie d’un monde très particulier, rendue avec une saisissante précision. Un délicieux couple d’amants évolue à travers cette intrigue : des amants de cour, en qui l’amour est un goût, et qui se trompent l’un l’autre avec une fausseté dégagée. Aspar aime Irène, mais l’empire plus qu’Irène : il est candidat à la main de Pulchérie, il estime que sa maîtresse devrait se tenir honorée de voir qu’on lui prend son amant pour en faire un