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LES CARACTÈRES ET LES PASSIONS.

Sur cette idée se fait la distinction des caractères dans la tragédie de Corneille. Il y a trois catégories dans l’ordre de la volonté : les généreux, les scélérats, les faibles. Les généreux sont ceux qui ont le pouvoir d’aller au bien que leur raison éclairée leur révèle ; ils ont la volonté forte et une connaissance vraie : c’est le Cid, Polyeucte, Cornélie, Nicomède, Sertorius, Suréna. Les scélérats sont ceux qui font énergiquement le mal que leur raison égarée leur propose comme bien ; ils ont la volonté forte et une connaissance fausse : tels sont Cléopâtre, Attila, tel ce Phocas, qui voudrait vouloir, et à qui manque, non la puissance, mais le motif de se résoudre ; c’est la pire misère qu’un esprit plein de ténèbres avec une volonté sans défaillance : avoir l’arme en main et ne pas voir où est l’ennemi. Enfin les faibles : et vraiment il n’y a pas ici à distinguer ceux qui ont ou n’ont pas une connaissance vraie, ceux qui ont bonne ou mauvaise volonté. Car, où la volonté n’est pas, elle ne saurait être ceci ou cela. Ils sont faibles : qu’importe que leur visage regarde du côté du mal ou du côté du bien, si leurs pieds ne les en rapprochent jamais ? Ils ont l’âme molle, serve de la passion, de l’égoïsme, des circonstances ; une connaissance confuse et contradictoire, séduite de mille objets, sans s’attacher à pas un. Ils veulent bien faire et font le mal ; ils sont tentés du mal et s’y laissent traîner. Tels sont : Félix, Prusias, Ptolomée, Valens, Perpenna : tel, à sa façon, ce Cinna, si mobile, si médiocre, âme de chambellan dans un emploi de Brutus. Dans toute l’œuvre de Corneille, les caractères se diversifient selon la variation de ces deux