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CORNEILLE.

éléments : volonté et connaissance, et selon la proportion de leurs mélanges. Les troubles de la volonté sont souvent des incertitudes de l’esprit qui ne voit pas le vrai ; ses égarements sont des erreurs de l’esprit, qui croit voir et voit mal. La pire bassesse est de n’avoir ni fermeté de volonté ni clarté de connaissance. La perfection héroïque est d’avoir la connaissance claire et la volonté ferme : quand l’âme voit le bien sans une obscurité et marche au bien sans une défaillance.

Quel sera donc le rôle des passions ? et leur reste-t-il une place ? Elles s’adjoignent ou s’opposent à la volonté, confirment ou troublent la connaissance. Le théâtre de Corneille est plein de héros appliqués à servir leur passion de toute leur volonté, comme leur raison est appliquée à la légitimer. Ainsi Cléopâtre, dans son ambition effrénée, Horace, dans son patriotisme intraitable, Polyeucte, dans sa dévotion enthousiaste, nous offrent trois types de « passionnés-volontaires », si l’on peut ainsi parler, qui se font une maxime de suivre l’objet dont le désir les attire : la même façon d’agir fait une scélérate, un brutal et un saint.

D’autres combattent leur passion : elle est l’obstacle qui les sépare de l’idéal héroïque : elle produit un conflit intérieur, un déchirement douloureux. Mais ces luttes sont brèves : autrement ils ne seraient pas des forts. Au premier combat, le Cid a triomphé de l’amour. Dès la première victoire que Polyeucte gagne sur son affection conjugale, on sent qu’il ne peut plus être vaincu. Chez tous, il semble que la sensibilité soit bridée, et l’on se demande moins qui