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l’époque romantique.

elle est achevée en 1847. V. Hugo faisait du roman tantôt une vision historique, tantôt un poème symbolique. George Sand l’inondait de lyrisme. Balzac y poursuivait une enquête sociologique. Stendhal l’employait comme un instrument d’observation psychologique. Mérimée, lui, est purement artiste : son œuvre relève de la théorie de l’art pour l’art. Morale, philosophie, histoire, il a tout subordonné à l’effet artistique. Ainsi en un sens il tient dans le roman la place que tiennent au théâtre Scribe. Gautier dans la poésie. Mais il est infiniment supérieur à Scribe ; et il ne donne jamais cette sensation de perfection vide que Gautier nous procure parfois. C’est ici que l’on voit combien les théories valent par les hommes qui les appliquent. Mérimée est un homme d’une intelligence très distinguée, doué d’une réelle aptitude à former des idées : cela suffit. Il peut ne penser qu’à l’art ; il évitera la niaiserie ingénieuse de Scribe, le néant intellectuel de Gautier.


6. UN DISCIPLE DU XVIIIe SIÈCLE : CL. TILLIER.


Cl. Tillier[1] n’est romantique que par l’époque où il a vécu. Son œuvre principale. Mon oncle Benjamin, est un récit de pur goût voltairien, alerte, narquois et mordant. Mais il vivait en Nivernais : Paris ne le distingua pas. Très oublié en France, Cl. Tillier nous est revenu d’Allemagne où son culte par hasard s’était conservé. Il mérite en effet de ne pas rester inconnu. Il y a eu d’un bout à l’autre du xixe siècle beaucoup de ces lettrés qui, sans renoncer à être de leur temps, ont fait l’éducation de leur goût et de leur plume chez Voltaire. Tillier se place, esthétiquement comme par sa date, entre Cousin et About, mais il n’est à aucun degré attique ou parisien, et il garde de sa province une verdeur un peu sauvage.

  1. Né à Clamecy, mort à Nevers (1801-1840) Mon oncle Benjamin, 1813. Œuvres complètes, 1846, 4 vol. Pamphlets, éd. critique par. M. Gérin, 1906. — À consulter : M. Gérin, Études sur Cl. Tillier, 1902.