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l’époque romantique.

des hommes qui nous ont transmis le nom que nous portons, et dont la destinée a préparé la nôtre ? » Et il passait en revue tous ces prétendus historiens de France, depuis les Chroniques et Annales de Nicole Gilles, secrétaire de Louis XI, du Haillan, Dupleix, Mézeray, Daniel, Velly, Anquetil, etc. : il montrait combien l’ignorance des sources, le manque de science et de critique, l’inintelligence de la vie du passé, le goût romanesque, la rhétorique, l’esprit philosophique, avaient partout déformé l’histoire : combien froides et fausses étaient toutes ces annales, où avortaient vite quelques bonnes intentions d’exactitude.

Chateaubriand, avec son sixième livre des Martyrs et ses Franks sauvages, fut l’initiateur : A. Thierry, en le lisant, se sentit historien. Combien ces Franks à cheveux roux, à grandes moustaches, serrés dans leurs habits de toile, et maniant la francisque, ressemblaient peu aux Franks incolores d’Anquetil ! Quentin Durward et Ivanhoe s’ajoutèrent aux Martyrs. Le romantisme vulgarisa le sens de l’histoire dont les éléments fondamentaux sont la curiosité des choses sensibles et extérieures, la recherche de l’individualité, de la singularité, de la différence. Pour l’histoire de France, le grand réveil du patriotisme que la Révolution provoqua lui donna un intérêt qui attira de ce côté auteurs et lecteurs. Puis la lutte des partis, après la Restauration, profita aux études historiques : les libéraux s’efforcèrent de fonder leurs revendications et les droits nouveaux sur le développement antérieur de la nation ; ils allèrent chercher jusqu’aux temps féodaux et aux invasions barbares les germes de l’état contemporain, ou les titres de la souveraineté populaire et surtout de la suprématie bourgeoise. Cette influence politique devança même l’influence romantique.

L’essor que va prendre le genre historique s’annonce par les publications de documents originaux, par les collections de Mémoires et Journaux authentiques[1], qui séduisent souvent les littérateurs et le public par le pittoresque des tableaux et le dramatique des événements. Outre les vastes recueils de Mémoires sur l’Histoire de France, qui furent une mine de romans et de drames, il faut signaler tout particulièrement la publication des Mémoires de Saint-Simon, qui renouvelèrent dans les esprits l’image du siècle de Louis XIV et de la cour de Versailles.

  1. Petitot et Monmerqué, Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France, depuis le règne de Philippe Auguste jusqu’à la paix de Paris de 1763, 1819-29, 131 vol. in-8. Guizot, Coll. des Mém. relatifs à l’Hist. de Fr., depuis la fondation de la monarchie jusqu’au xiiie siècle, trad. et annotes, 1823-1827, 29 vol. in-8 ; Coll. des Mém. relatifs à la Révolution d’Angleterre, trad. et annotés, 1823 et suiv., 26 vol. in-8. Buchon, Coll. des Chroniques nationales écrites en langue vulgaire, du xie au xvie s., 1824-29, 47 vol. in-8. Michaud et Poujoulat. Nouvelle Coll. de Mém. relatifs à l’Hist. de Fr., 1836 et suiv.. 32 vol. in-8.