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publicistes et orateurs.


4. ORATEURS UNIVERSITAIRES ET CONFÉRENCIERS LITTÉRAIRES.


J’ai parlé précédemment, pour n’y pas revenir, de l’éloquence religieuse : l’orientation nouvelle de l’Église, dans notre société, n’a pas encore eu le temps de donner des résultats littéraires, que peut-être elle donnera bientôt.

L’éloquence judiciaire, comme toujours, se subordonne à l’éloquence parlementaire. Les grands avocats sont d’ordinaire les meneurs des chambres ; les grands procès sont des affaires politiques[1]. Au reste, l’éloquence du barreau échappe de plus en plus à la littérature : elle se place ou bien hors de l’art, par la controverse juridique, ou au-dessous de l’art, par les gros effets[2].

Reste l’éloquence d’enseignement. La période qui nous occupe n’a pas l’éclat de la précédente. L’esprit scientifique, ici encore, est victorieux, aux dépens du talent oratoire : le dédain de l’éloquence est sensible chez Taine et Renan ; celui-ci même donne un sens défavorable aux mots littérateur et littérature. La mode n’est plus aux amples expositions qui émerveillent un auditoire nombreux, peut-être incompétent. Après l’inertie que l’empire a favorisée, l’activité, le travail reprennent, mais les maîtres s’enferment dans leurs laboratoires avec quelques élèves. La tradition des cours publics est reprise avec éclat par Caro[3] ; elle parait si lointaine, que son succès étonne, scandalise, et permet de le couvrir de ridicule.

C’était pourtant un homme de réelle valeur, instruit, intelligent, d’une rare probité intellectuelle, plus apte à expliquer les systèmes qu’à les réfuter, et ne dissimulant rien des doctrines qu’il ne réussissait pas à détruire : il avait la parole un peu trop ronde et fleurie, élégante et chaude. Ses dons d’orateur lui firent la réputation de ne point penser.

Dans ces dernières années[4], un orateur puissant s’est révélé en

  1. Jules Favre (procès d’Orsini) ; Gambetta (procès de Delescluze) ; avec eux, Dufaure.
  2. M. Raymond Poincaré a trouvé ce jugement sévère. Il a cru que je reprochais à l’éloquence du barreau de se faire plus simple et plus familière. C’est le reproche contraire que je voulais lui faire : elle demeure trop souvent encore empêtrée dans une rhétorique tapageuse et banale. Il est vrai que M. Poincaré lui-même, et quelques-uns de ses confrères (Waldeck-Rousseau, Millerand), ont donné l’exemple au Palais d’une éloquence moins ornée et plus réelle : je souhaite qu’ils trouvent beaucoup d’imitateurs (11e éd.).
  3. E.-M. Caro (1826-1887), professeur à la Faculté des Lettres de Paris en 1864. — Édition : Œuvres, Hachette, 17 vol. in-16 (Études morales sur le temps présent, 2 vol. l’Idée de Dieu et ses nouveaux critiques, 1 vol. ; le Pessimisme au XIXe s., 1 vol. ; le Matérialisme et la science, 1 vol. ; M. Littré et le positivisme, 1 vol., etc.).
  4. Depuis 1891.