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science, histoire, mémoires.

Mais ce savant, qui n’a jamais cessé de pratiquer et de recommander la recherche méthodique du vrai, la poursuite courageuse de la connaissance rationnelle, savait les limites de la raison et de la science. Du christianisme de sa jeunesse il avait retenu une certitude, que toute son expérience de savant confirma : que la morale n’est point affaire de science, mais article de foi, que le bien et la vertu tirent leur valeur de ce qu’on les choisit librement, gratuitement, et qu’enfin, si on ne courait chance d’être dupe en se désintéressant, en se sacrifiant, ni le désintéressement ni le sacrifice n’auraient grand mérite. Et il a toujours affirmé que celui-là ne se trompe pas, qui déclare en vivant sa foi à l’idéal. Faire de la vérité le but de la pensée, du bien la fin de l’action, le vrai étant l’exclusion du miracle, et le bien l’exclusion de l’égoïsme : on peut juger comme on voudra cette philosophie, on n’a pas le droit d’y voir un jeu de dilettante indifférent.

Toutes les précautions que ce loyal esprit a prises pour éviter le parti-pris, les vues étroites ou exclusives, pour saisir toutes les parties et manifester tous les aspects de la vérité, ont donné le change aux esprits superficiels ou prévenus : en même temps que notre grossière façon d’entendre l’opposition théorique de la science et de la foi nous faisait mal juger tous ces fins sentiments, ces expansions affectueuses ou enthousiastes, qui se mêlaient sans cesse chez Renan aux affirmations du déterminisme scientifique. On hésitait à prendre au sérieux un savant qui tirait tant de révérences à l’idéalisme, un critique qui ne semblait occupé qu’à donner de l’eau bénite.

C’était lui qui avait raison. C’était lui qui était dans le vrai, aisément, largement, sereinement. Et son esprit qui lui survit prouve par l’excellence de son action la bonté de sa doctrine. Renan n’a pas été populaire : il offre peu de prises, par sa richesse et sa souplesse, aux moyens esprits. Mais il a agi sur quelques intelligences, quelques âmes d’élite, et par elles passe, par elles surtout passera dans le domaine commun de la pensée le meilleur de l’œuvre du maître.

Il a refait, d’abord, l’œuvre du xviiie siècle, et il a dissipé les équivoques créées par Chateaubriand. Quelles que soient les réserves des érudits, il a établi sur des raisons d’ordre purement scientifique, historique, philologique, la relativité, l’humanité des religions. Je ne veux pas dire qu’il ait tué la religion ; mais il a réduit la question à ses termes essentiels, à sa forme extrême : il faut choisir entre le déterminisme et la révélation. Et ce choix est une affaire de foi. Contre la foi, nulle critique ne vaut : mais dès qu’on ne croit pas « comme un petit enfant », inutile de se