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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/1122

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le naturalisme.

monter la tête, inutile de se griser d’esthétique, de s’inventer des raisons de croire : de l’affirmation déterministe sort la dissolution des religions. À ceux qui ne croient pas, il fournit l’explication rationnelle du phénomène de la croyance, donnant ainsi une base solide à l’incrédulité.

Mais il a fait religieusement cette œuvre de science irréligieuse. Dieu est pour lui « la catégorie de l’idéal » ; et la religion, c’est « la beauté dans l’ordre moral ». Par la religion se satisfait l’instinct moral de l’humanité ; ainsi, aucune religion n’étant vraie, toutes les religions sont vraies ; et toutes sont bonnes — quand on ne les applique qu’à leur office. L’idéalisme philosophique n’est pas à l’usage de-toutes les intelligences : l’idéalisme religieux est accessible aux plus humbles esprits. Des raisons d’ordre intellectuel ont éloigné Renan de l’Église : mais il est parti sans colère, sans rancune, le cœur tout pénétré au contraire et parfumé pour la vie de la vertu fortifiante, consolante, ennoblissante du catholicisme, reconnaissant de tout ce qu’il lui avait dû de pures joies et de bonnes directions, tant que son progrès intellectuel n’en avait pas détruit l’efficacité.

De là cette curieuse conséquence : pour nombre d’esprits, Renan a rendu la foi impossible, et il a rendu impossible aussi la guerre à la foi. Il a radicalement détruit ce que Voltaire avait ébranlé, mais il a aussi radicalement détruit l’esprit voltairien : il a affranchi de l’anticléricalisme[1] les cœurs qu’il a retirés pour jamais au christianisme. Ni croyants, ni hostiles, témoins sympathiques au contraire de la croyance, et conscients de la bonté morale de la croyance pour ceux qui peuvent croire, voilà ce que Renan nous a faits. On a vu surtout, de son vivant, combien il menaçait l’Église : de jour en jour, on sentira davantage ce que le sens religieux, la tolérance et la paix lui doivent.

Dans le domaine de la littérature, son influence est assez imprécise, parce qu’il n’a pas eu de théorie littéraire. Cependant, je saisis trois traces de son passage : c’est d’abord la curiosité si universellement éveillée sur les choses religieuses, le goût des artistes et du public pour les restitutions des plus singuliers effets de la foi, pour les analyses psychologiques de la sainteté ou de la dévotion. Puis, d’une façon plus générale, il nous a encouragés à ne pas nous arrêter dans le dilettantisme artistique ou dans l’impassibilité scientifique, à considérer la littérature comme une collection d’actes humains, libres et moraux ; c’est-à-dire qu’il nous

  1. Dans la mesure où l’anticléricalisme n’est pas un mouvement purement politique. Renan enseigne à distinguer la résistance a l’Église et aux partis qu’elle sert ou qui s’en servent de la guerre aux croyances religieuses. On peut dire qu’il a gain de cause aujourd’hui dans la société française (11e éd.).