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la littérature en formation.

M. Brieux[1], talent probe, puissant, un peu fruste et un peu gros, étudie des cas sociaux. Il découvre et sonde, d’une main un peu rude, les plaies vives, de la conscience et de la société moderne. Il applique successivement son observation, à la fois précise et sommaire, aux institutrices, aux courses, à la corruption politique, aux institutions charitables, à la magistrature, aux nourrices, au divorce, aux désespérantes doctrines de l’hérédité : il dit sur toutes ces choses un mot juste, sans nuance. Son art est comme sa pensée : clair, fort, sans tricherie et sans finesse. Ni Renan ni Sainte-Beuve n’ont été ses maîtres : qui sait s’il en a eu ? Il est lui, il dit ce qu’il a à dire, sa pensée laborieusement conquise, dans une forme qui l’exprime loyalement. Et ce n’est pas un mérite médiocre.

M. Donnay[2] est un ironiste, qui de la fantaisie aristophanesque est passé à l’étude des formes les plus modernes de l’amour et de l’âme féminine. Puis de la peinture non flattée de la moralité déconcertante des gens qui mènent la haute vie, il s’est tourné, emporté par le courant de l’époque, vers l’examen des problèmes sociaux du féminisme et du collectivisme. Il a beaucoup d’esprit, un dialogue vif et charmant, une fantaisie amusante avec un arrière-goût d’âcreté, une psychologie subtile et imprévue, avec des trouvailles d’une justesse qui saisit, un dédain content de s’étaler des artifices scéniques et de toute la vieille technique.

M. Hervieu[3] est plus austère. Il produit peu ; il se concentre. Il a simplifié sa forme, d’abord, même au théâtre, compliquée, tortueuse et alambiquée. Il a mis sa force à nu. Il étudie des cas sociaux, les iniquités de la loi, l’oppression des faibles par la loi, l’expression de l’égoïsme de l’homme dans la loi. C’est à la loi qu’il fait la guerre, pour l’individu, pour la justice et pour l’humanité. Il lui arrive de regarder la loi, non plus de la société, mais de la nature : et les effets qu’il en observe ne sont pas plus consolants. La loi de la nature est aussi créatrice de mal, de souffrance et d’injustice pour les individus : et le dévouement maternel a pour envers l’ingratitude filiale. La nature, comme la loi, se moque de la raison et de la justice. Observateur âpre, sans illusion et sans complaisance, M. Hervieu s’est fait un art

  1. Blanchette, 1892 ; l’Engrenage, 1891 ; l’Évasion, 1896 ; les Bienfaiteurs, 1896 ; le Berceau, 1898 ; Résultat des Courses, 1898 ; la Robe rouge, 1900 ; les Remplaçantes, 1901 ; la Française, 1907 ; Simone, 1903.
  2. Lysistrata, 1893 ; Amants, 1895 ; la Douloureuse, 1897 ; l’Affranchie, 1898 ; le Torrent, 1899 ; avec L. Descaves, la Clairière, 1900 ; l’Autre danger, 1903 ; le Retour de Jérusalem 1901 ; Oiseaux de passage, 1904 ; l’Escalade, 1904 ; Paraître, 1906 ; la Patronne. 1908.
  3. Théâtre, 3 v. in-16, 1902. Les Paroles restent, 1893 ; les Tenailles, 1895 ; la Loi de l’Homme, 1897 ; la Course du flambeau, 1901 ; Théroigne de Méricourt, 1903 : le Dédale, 1904 ; le Réveil, 1905.