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le fin du siècle.

conforme à sa pensée. Sa pièce est une démonstration vigoureuse ; il n’y a plus que les personnages, les effets, les propos qui font ressortir sa thèse. Tout porte, avec une justesse écrasante, qui ne laisse pas respirer le spectateur. M. Hervieu atteint ainsi à l’émotion puissante, une émotion un peu sèche, qui étreint sans réjouir. Aussi est-il plus estimé du petit nombre que de la foule, qui vient au théâtre pour se réjouir.

Voilà quels sont à l’heure actuelle les maîtres de la scène. Je dois pourtant nommer encore M. Jules Lemaître et M. Rostand.

M. Lemaître[1], sans répudier bruyamment la technique établie, sans déconcerter les habitudes du public, sans prétention philosophique aussi et sans fracas de symboles, nous avait, dès son début, donné la sensation rafraîchissante d’une originalité sincère. Une fine psychologie, vécue et sentie, non livresque ni théâtrale, d’où l’émotion sortait d’elle-même sans violences et sans ficelles, fait le mérite éminent des principales œuvres qu’il a écrites, où par surcroit il a rais toutes les grâces de son esprit et la forme exquise de son style. Il a traité les problèmes de la vie intérieure avec plus de bonheur et de délicatesse que les études sociales, où il a porté une observation un peu grosse. Il a débattu des cas de conscience subtils et douloureux avec une philosophie clairvoyante et humaine. Mais la politique et la polémique l’ont, semble-t-il, détourné du théâtre, où l’on pouvait espérer qu’il apporterait un jour le chef-d’œuvre complet dont jusqu’ici il ne nous a donné que la promesse et l’ébauche.

Pour M. Rostand[2], son étonnant succès n’est pas un accident individuel. Le public, secoué dans son prosaïque amour du vaudeville, harcelé, inquiété, prêché par les œuvres de l’étranger et des théâtres particuliers, s’est senti sollicité de changer quelque chose à son goût, d’élargir le cercle ordinaire de ses amusements. Et qu’a-t-il fait ? Puisque le temps d’Ibsen. d’Hauptmann et de la poésie au théâtre était venu, il est retourné au drame romantique. Il a fait des succès aux attardés, aux survivants de l’idéalisme lyrique : il a porté aux nues des drames de M. Coppée el de M. Richepin[3], sans s’inquiéter trop si cet idéalisme était creux et si ce lyrisme était verbal. Ce courant une fois déterminé, Cyrano de Bergerac s’est présenté : et ce qu’il y avait de facile et claire abondance, de gaieté jeune, de poésie à

  1. Révoltée, 1889 ; le Député Leveau, 1891 ; le Mariage blanc, 1891 ; Phlipote, 1893 ; l’Age difficile, 1891 ; le Pardon. 1895 ; l’Ainée, 1898 ; la Massière, 1905.
  2. Les Romanesques, 1894 ; la Princesse lointaine, 1895 ; la Samaritaine, 1897 ; Cyrano de Bergerac, 1897 ; l’Aigloh, 1900 ; Chantecler, 1910.
  3. Pour la Couronne, 1895. de Coppée ; le Flibustier, 1888, le Chemineau, 1897, de Richepin.