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avant-propos

rien aimé ou blâmé que pour des raisons d’ordre littéraire. Je n’ai pas cru impossible d’écarter toutes les passions du présent, et de goûter en chaque œuvre la puissance individuelle du talent, quelle que fût l’orthodoxie politique, religieuse, métaphysique, et même esthétique, qui s’y révélât. En littérature plus qu’ailleurs, les doctrines ne valent tout justement que ce que valent les esprits qui les appliquent.

Après quelques-uns de mes devanciers, je me suis longuement arrêté au moyen âge. Le temps est venu de faire rentrer le moyen âge dans l’unité totale de notre littérature française : et ce serait mal reconnaître les efforts de tant d’érudits spécialistes, que de leur en laisser indéfiniment la jouissance. Assez de textes ont été publiés, assez d’éclaircissements fournis, pour qu’il ne soit plus permis au simple lettré d’arrêter sa curiosité au seuil de la Renaissance. Qu’il y ait toujours des curieux et des savants qui s’enferment dans le moyen âge, comme il y en à qui se cantonnent dans le xviiie siècle ou dans le xviie, rien de plus légitime, et rien de plus utile : mais il est temps que tombe le préjugé par lequel le professeur, le critique, qui prétend embrasser dans son étude et son goût toute notre littérature nationale, est autorisé à en ignorer, à en mépriser quatre ou cinq siècles.

Il va sans dire qu’il ne s’agit pas de conserver, de lire et de faire lire toutes les œuvres du moyen âge qui ont été publiées. Un travail est à faire : dans la vaste production que les spécialistes nous ont révélée, il faut séparer le monument littéraire du document historique ou philologique. Un petit nombre d’œuvres capitales viendront ainsi enrichir définitivement le trésor public de notre littérature : le reste demeurera la propriété et la curiosité des érudits. C’est cette sélection que je me suis appliqué à faire ici, selon ma connaissance et mon jugement.

Je suis porté à croire que si l’on donnait des éditions, je ne dis pas scolaires, mais simplement communes et populaires des chefs-d’œuvre de la vieille langue, si quelques