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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/156

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littérature bourgeoise.

à l’éteindre, elle oppose la génération qui tend sans cesse à l’accroître, et sa perpétuité se fonde sur l’équilibre des deux forces en conflit. Ainsi l’amour est, selon l’intention de la nature, le vainqueur de la mort, c’est la source, le fondement, le pivot de la vie universelle. Honni soit qui s’y dérobe ! il est en révolte contre la nature, ennemi de Dieu, dont il aspire à détruire pour sa part la création.

Que plus sage et plus vertueux est celui qui, en simplicité de cœur, suit l’instinct de la nature ! Toutes les institutions, tous les usages qui, réglant les rapports sociaux de l’homme et de la femme vont contre la nature, sont condamnés par la raison. Au reste quiconque, en toute chose, ramènerait sa pensée et conformerait ses actes aux commandements de cette toute bonne et puissante nature, celui-là serait assuré de tenir et le vrai et le bien. Le criterium universel et infaillible, c’est la nature : la raison n’en connaît pas d’autre.

La Nature n’a pas fait les rois : le roi est un homme comme les autres, ni plus grand ni plus fort ; bien au contraire,

Car sa force ne vaut deux pommes
Contre la force d’un ribaut.

Selon la nature, il n’a pas de droit sur ses semblables. Quel est donc le fondement du pouvoir royal ? C’est l’intérêt public. Fatigués de la barbarie primitive, où la lutte de tous contre tous est l’état naturel, où chacun ne prend et ne garde que selon sa force actuelle, les hommes ont constitué l’État, le pouvoir civil, gardien de la propriété et de la justice ; le roi n’est leur maître que pour leur service et leur sûreté : c’est le gendarme de Taine :

Un grand vilain entre eux élurent
Le plus ossu de tant qu’ils furent,
Le plus corsu et le plus grand :
Si le firent prince et seigneur.

Les impôts ne sont qu’une contribution destinée à fournir au prince les moyens de faire sa fonction. Voilà le principe selon lequel on peut juger les puissances : n’en voit-on pas les conséquences ?

La nature n’a pas fait davantage une hiérarchie sociale : selon la nature, la noblesse n’existe pas. Ou plutôt elle existe, elle est personnelle. La noblesse, dit Jean de Meung après Juvénal, la seule noblesse, c’est la vertu, c’est le mérite. La raison ne distingue les individus que selon l’inégalité naturelle : la force physique, que notre penseur est loin de mépriser, mais surtout l’intelligence et la science, voilà ce qui élève les hommes et leur confère une dignité