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decomposition du moyen âge.

qui le sépare des vrais lyriques : avant Ronsard, il développe le thème :

Cueillez dès à présent les roses de la vie ;

avant Villon, le thème :

Mais où sont les neiges d’antan ?

Mais il ne tire rien de ces thèmes si riches, du moins il n’en extrait pas d’émotion ni de poésie. Ainsi au lieu du mélancolique et poignant refrain de Villon, que trouve-t-il ? une froide réflexion.

Ils sont tous morts : le monde est chose vaine.

Et voilà la différence d’un poète à un raisonneur.

Que du reste Deschamps, avec son rude langage, dans ses vers martelés et pénibles, ait souvent de la force, de l’éclat, de l’originalité, une sorte de mâle et brusque fierté qui rappelle, par moments, l’accent de Malherbe, il n’y a pas à le contester. Il y a en lui, sinon un poète, du moins un écrivain ; et si l’on considère certain goût pour les lieux communs, certaine pente à procéder par idées générales et par raisonnements liés, on dirait peut-être qu’il y a en lui un commencement d’orateur. Malgré sa culture superficielle et ses étranges bévues, il a étudié ; sa langue est fortement imprégnée de mots latins. Si bien que ce disciple éclectique de Jean de Meung et de Machault se rattache aussi d’une certaine façon au grand mouvement qui, sous les règnes de Charles V et de Charles VI, met comme une aube, trompeuse encore, de Renaissance.

Il se produit alors, en effet, une sorte de réveil de l’humanisme. L’étude de l’antiquité, restaurée sous Charlemagne, renouvelée par les grands et actifs esprits du xiie siècle, avait été déplorablement négligée au xiiie. Les résumés, les manuels, les encyclopédies avaient pris la place des textes ; et les sept arts vaincus avaient cédé la place à la théologie. Mais au xive siècle ils prennent leur revanche : on se met à rechercher, à copier les manuscrits latins. On étudie les textes pour eux-mêmes, pour leur sens, pour leur beauté, non pour en tirer des autorités et des arguments. Pétrarque vient en France en 1361, comme ambassadeur de Galéas Visconti : il harangue en son latin le roi et le dauphin, qui furent très étonnés d’entendre parler en belles périodes d’une certaine déesse Fortune, dont ils n’avaient rien su jusque-là. Cette déesse Fortune, c’est l’avant-garde de toute l’antiquité païenne, idées et formes, qui fait son entrée dans les cerveaux des barbares du Nord.