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le quatorzième siècle.

Pétrarque [1] qui en ce voyage nota la désolation du royaume, la solitude des écoles, trouva pourtant à qui parler, de savants hommes qui partageaient son goût pour les ouvrages des anciens. Il resta lié avec Bersuire. D’autres le virent à Avignon, la ville du schisme, qui sous ses papes d’abord, puis ses légats, demeure du xive au xvie siècle une porte ouverte à la civilisation italienne sur la France encore brute et grossière : au xive surtout, pendant le schisme, Avignon mit en contact et mêla Français du Nord et du Midi, Florentins, Romains, venus les uns pour en arracher le pape, d’autres pour l’y maintenir, d’autres pour toutes les sollicitations, intrigues ou marchandages publics et privés : nos Français, pour peu qu’ils fussent lettrés, ne tirent jamais le voyage pour rien, quand même ils se laissaient jouer ou battre.

On voit à la fin du xive et au commencement du xve siècle tout un groupe de lettrés, curieux et enthousiastes de l’antiquité latine, Oresme, Gerson, Pierre d’Ailly, Nicolas de Clamenges, Gonthier Col, Guillaume Fillastre, d’autres encore. La plupart sans doute sont encore des scolastiques, théologiens, docteurs, engagés dans les études et les emplois de l’Église. Mais voici une femme, Christine de Pisan, que nous retrouverons bientôt, et voici un homme qui est comme la première ébauche de l’humaniste en France, un homme qui a étudié seulement es arts, qui n’a pas touché à la théologie, qui n’a aucun grade : c’est Jean de Montreuil [2], secrétaire de Charles VI et prévôt de Lille. Il écrit encore en latin scolastique, et cite abondamment Ovide : mais déjà le trio de ses auteurs favoris, de ses idoles, c’est Cicéron, Virgile et Térence : déjà sa culture est toute païenne, et jusque dans une lettre au pape sur les maux de l’Église, il ne trouve à citer que Térence, au grand scandale du pieux Gerson.

Chose à noter, à leur gloire, ces humanistes, bourgeois d’origine et de cœur, se font en général remarquer par la vivacité de leur patriotisme. Les plus grands cris pour la paix, en faveur du peuple et de la France, partent de leur groupe. Gerson et Christine de Pisan sont connus ; Jean de Montreuil, que les Bourguignons égorgent en 1418, avait écrit en latin et en français des traités contre les Anglais ; il y a de l’ampleur et de la passion oratoire dans ses libelles en langue vulgaire.

Le profit que la littérature française reçoit de cet essai de renaissance des lettres anciennes est manifeste. Encouragés déjà par Jean II, mais surtout par Charles V, de studieux esprits s’appliquent à mettre en langue vulgaire les œuvres latines.

  1. À consulter : De Nolhac, Pétrarque et l’Humanisme, Paris, 1892, in-8.
  2. À consulter : A. Thomas, De Joannis de Monsterolio vita et operibus, Paris 1853. in-8.