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le quatorzième siècle.

du peuple. Il le fallait bien pour être compris. Il y eut certainement au xiie siècle une prédication en langue vulgaire, active, vivante, puissante, qui entraînait grands et petits à la croisade, peuplait les cloîtres, jetait des villes entières à genoux, et dans tous les excès de la pénitence. Du haut de leurs chaires, sur les places, par les champs, les prédicateurs étaient les directeurs publics de la conscience des individus et des foules : tout et tous passaient sons leur âpre censure, et définis les coiffures effrontées des femmes, nulle partie secrète ou visible de la corruption du siècle ne déconcertait l’audace de leur pensée ou de leur langue. Au xiiie siècle encore, avec l’expansion des deux grands ordres mendiants, dont l’un est voué par son nom même à la prédication, l’éloquence chrétienne a encore de beaux jours. Cependant il n’est presque point resté dans notre langue de monuments qui en représentent l’éclat pendant ces deux grands siècles de foi : c’est affaire aux érudits d’en ressusciter l’image à grand’peine.

On prêchait en français, mais on mettait en latin les sermons que l’on voulait confiera l’écriture. C’était en latin qu’on les préparait, en latin qu’on les conservait, le latin étant la langue naturelle des auteurs, et celle aussi du public par lequel ils pouvaient songer à se faire lire. De là vient que tous les sermons qu’on a d’Hildebert ou de Raoul Ardent, de Pierre de Blois ou de Hugues de Saint-Victor, de saint Thomas ou de saint Bonaventure, qu’ils aient été prêches dans les couvents ou devant le peuple illettré, sont en latin. Quand la vulgarité pittoresque du français résistait à la gravité de la langue savante, le rédacteur ou traducteur insérait au milieu de son latin l’idiotisme, le proverbe, la métaphore populaire : de là les sermons appelés macaroniques. Même encore au xve siècle, l’éditeur de Gerson tournait en latin, pour l’utilité du lecteur, les discours dont il avait le texte français.

En somme, outre quelques sermons du xiiie siècle, la prédication en langue vulgaire n’est représentée que par deux recueils qu’on a sous les noms de Maurice de Sully [1], évêque de Paris, et de saint Bernard. Encore ne sont-ce que des traductions du latin. Les 84 sermons de saint Bernard [2] ont été prêchés devant des clercs, et mis en français sans doute à l’usage des frères lais, qui n’entendaient pas le latin. Quant à Maurice de Sully, son recueil était un manuel pour suppléer à l’incapacité oratoire des prêtres de son diocèse : ils n’avaient qu’à réciter en langue vulgaire les homélies dont il leur fournissait le modèle. Et c’est ce qui fait que les nombreux manuscrits de la traduction offrent tant de dif-

  1. Mort on 1196. — Édition : le Dialecte poitevin au xiiie siècle, par A. Boucherie, Paris et Montpellier, 1873.
  2. Édition : Foerster, Erlangen. 1885, in-8.