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renaissance et réforme avant 1535.

Marot, c’est la saine robustesse de cet esprit si fin : nulle mièvrerie italienne, nulle aristocratique préciosité n’ont altéré chez lui le fonds d’esprit français dont il avait hérité. Il a gardé toute la verdeur, la nette vivacité, le bon sens aigu de la poésie parisienne ou champenoise. Il est bien français encore en ce que l’idée chez lui, si peu de chose qu’elle soit, est la substance même et le tout de sa poésie ; le rythme, le mot n’ont de valeur que par l’idée, et relativement à l’idée.

Ce gentil poète a eu autant de gloire et d’influence que s’il eût été un grand poète. C’est que Ronsard, en tombant, le découvrit : avant Malherbe, il ne resta que Marot pour représenter le xvie siècle, et servir de modèle. Et voici ce qu’on y trouvait, et par où il s’adaptait admirablement à l’esprit des deux siècles qui suivirent. Il était tout français, imperceptiblement italianisé, et n’ayant pris à l’antiquité latine que ce qui mettait en valeur les vieux dons de sa race : par lui, La Fontaine et les autres reprenaient le contact du pur génie de la France, se remettaient en communion avec l’âme héréditaire de notre peuple. Car ce poète de cour — chose si rare dans notre littérature — est, sous sa politesse, essentiellement populaire.

Puis il inaugure, avec Marguerite, mais dans une forme plus parfaite, la poésie moderne, dont la loi est vérité et sincérité : cette œuvre toute de circonstance et d’actualité est éminemment vraie et sincère. De plus, écrivant pour un public d’élite, asservissant son inspiration au goût de ses lecteurs, il ouvre l’ère de la littérature mondaine, il fait prédominer les qualités sociables sur la puissance intime de la personnalité ; avec lui commence le règne — salutaire ou désastreux comme on voudra, ou mêlé de bien et de mal — d’une société polie. Enfin il a fait des Psaumes, et l’on notera que dans le classique il n’y a de lyrisme que par les Psaumes : Malherbe, Rousseau, Racine, tons traitent les thèmes de la poésie hébraïque. Nous en verrons la cause ailleurs : il suffit que là encore Marot soit un précurseur. Faut-il ajouter qu’il est tout esprit, et que, sauf de hautes exceptions, ce ne sera pas le sentiment, mais l’intelligence qui créera notre littérature du xviie et du xviiie siècle ? Ainsi s’explique que l’influence de Marot ait dépassé, si j’ose dire, sa valeur.

Il ne faut pas omettre aussi de signaler qu’avec Marot l’unité et comme la concentration littéraire de la France s’achèvent par le réveil du Midi. Le voici qui fait sa rentrée ou plutôt son entrée dans la littérature française. Privé depuis bientôt trois siècles de sa langue, il vient enfin verser sa richesse et sa fécondité dans la langue du Nord ; et pour son début il lui donne Marot[1], Montluc, et Montaigne.

  1. Marot est fils d’un Normand, mais il est né, il a été élevé en Quercy.