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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/273

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françois rabelais.

lastique, la logique creuse, il ne dépasse guère Marot dans ses boutades contre les sorbonistes et les moines.

On ne saurait trop dire que les cinq livres de Rabelais forment non pas un, mais cinq ouvrages, qui s’échelonnent pendant trente ans à des moments très divers de notre Renaissance, et qu’à vouloir les juger tous en bloc comme formant une seule œuvre, on risquerait de n’en pas apprécier exactement la valeur… et de s’égarer sur le caractère de l’auteur.

Voilà donc le premier Rabelais [1], l’ami de Budé, le contemporain intellectuel de Marguerite et de Marot, et qui achève avec eux d’éclairer la première période du xvie siècle français.

L’année 1535 est une date décisive. Jetant François Ier, après la procession du 29 janvier, dans le catholicisme étroit et persécuteur, elle opère par contre-coup, pour la France, la première séparation des éléments jusque-là confus. Le protestantisme qu’on punit se précise et se détermine : l’année suivante va paraître, l’Institution chrétienne. Désormais le temps des vagues tendances, des complexes poursuites est passé. Il faut être catholique avec le roi, ou protestant avec Calvin. Marot s’en va à Ferrare, dans une cour réformée ; Marguerite se rattache à la messe latine, à la confession, à la Vierge. Ceux qui ne veulent être rigoureusement ni protestants ni catholiques, les libres esprits qui repoussent tous les jougs et se sentent à la gêne dans toutes les Églises, les doux amis de la tolérance, qui mettent l’essence du christianisme dans la charité, les fougueux partisans de la bonne vie instinctive et naturelle, qui ne veulent point resserrer leurs désirs ni leurs jouissances, tous ceux-là désormais seront malheureux, s’ils ne sont bien habiles. Ils seront pris entre les deux dogmes.

Despériers [2] en fit l’épreuve. Il s’efface comme poète dans l’ombre

  1. Biographie : François Rabelais, né à Chinon à la fin du xve siècle, des cordeliers de Fontenay-le-Comte passe aux bénédictins de Maillezais : il étudie la médecine à Montpellier, est attaché en 1532 à l’Hôtel-Dieu de Lyon, fait imprimer divers ouvrages d’érudition et de médecine, des almanachs, et enfin Pantagruel et Gargantua. Il fut comme médecin dans la maison du cardinal Jean du Bellay, qu’il suit au moins trois fois à Rome (1533, 1535, 1538). Il sut se faire de puissants protecteurs, Budé, Geoffroy d’Estissac, les Du Bellay, les Châtillon, Diane de Poitiers ; il obtint ainsi de François Ier et de Henri II des privilèges pour son 3e et son 4e livre. Cependant, en 1546-1547, il est à Metz où il s’est enfui : il y vit assez misérable. Il fut, grâce aux Du Bellay, chanoine de Saint-Maur des Fossés, curé de Saint-Martin de Meudon (1550) et de Saint-Christophe de Jambet. Il résigna en 1552 ces deux cures, dont il se borna sans doute à toucher les revenus. Il mourut vers 1553. Sa légende avec toutes les anecdotes qui la composent s’est formée d’après son livre ; elle tend à faire l’auteur à la ressemblance de son œuvre, ou plutôt de la forme extérieure de cette œuvre.
  2. Biographie : Né vers 1498 (Chenevière dit 1510) à Arnay-le-Duc, B. Despériers, très savant en grec et en latin, collabore avec Olivetan pour la Bible française (1535), avec Dolet pour les Commentaires de la langue latine (1536). Il résida longtemps à Lyon. Valet de chambre de la reine de Navarre (1536), poète et conteur, il fut lié avec Marot