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guerres civiles.

partir de l’entrée du roi à Paris, que des harangues de cérémonie, des discours d’ouverture au Parlement de Provence ou aux Grands Jours de Marseille ; la royauté absolue a tué l’orateur qui était en Du Vair ; il ne reste qu’un magistrat ponctuel, grave et un peu pédant. Les troubles des minorités sembleront réveiller l’éloquence politique : ils seront trop vite apaisés pour qu’elle ait le temps de renouer sa tradition et de produire des chefs-d’œuvre ; nous ne la retrouverons qu’au bout de deux siècles, quand la royauté absolue croulera.

Le même coup qui étouffa l’éloquence politique fut mortel à l’éloquence judiciaire, qui est liée naturellement à l’existence et au progrès de l’autre. D’abord l’expérience a montré partout ce que gagne le barreau au voisinage de la tribune, quand les relations sont journalières, le personnel à demi commun. Puis, il faut la liberté politique pour élever l’éloquence judiciaire au-dessus de l’argumentation strictement juridique et des gros effets de cour d’assises. Alors le discours d’affaires peut devenir une œuvre qui vaut et qui dure, même après que son utilité réelle et directe est épuisée. On le vit au xvie siècle. La gravité pédante du Palais n’avait rejeté le lourd appareil scolastique que pour imposer aux avocats l’accablante érudition de la Renaissance : on verra dans le Traité de Du Vair pourquoi nous n’avons pas même à citer ici la plupart des hommes qui de son temps représentaient l’éloquence judiciaire.

Mais il faut donner une mention à Estienne Pasquier, parce qu’il eut un jour à plaider une grande cause : en 1565, il soutint la requête de l’Université de Paris, qui contestait aux Jésuites le droit d’enseigner [1]. Pasquier donna cours à toute sa passion gallicane, et fit un plaidoyer vigoureux, mordant, parfois injurieux, qui, même pour nous, a de la chaleur et de l’intérêt : élargissant le débat, il traita de l’institution même des Jésuites, de leurs principes et de leur doctrine, de la question générale de l’enseignement laïque et de l’enseignement ecclésiastique, usant de la liberté du temps pour se lancera fond dans des discussions qui sont encore actuelles et brûlantes. Ce procès de l’Université et des Jésuites est l’affaire capitale du siècle : trente ans après que Pasquier n’avait pu empêcher le Parlement d’appointer la cause et de laisser les Jésuites en possession indéfiniment provisoire, l’Université, au lendemain de l’entrée du roi à Paris (1594), tenta un nouvel effort : l’avocat Arnauld se fit l’interprète de ses revendications et de ses jalousies : il parla avec plus d’emportement, de grossièreté même, mais plus de lourdeur et d’emphase que Pasquier.

  1. À consulter : Douarche, l’Université de Paris et les Jésuites, Hachette, in-8, 1888.