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transition vers la littérature classique.

revendiquer une part de paternité dans la naissance du burlesque. Suivant, comme il dit, son « ver coquin », il a tous les bénéfices comme tous les défauts de l’inspiration : le mot hardi, imprévu, éclatant, l’image riche, inoubliable, un cours naturel et aisé de langage, qui enregistre toutes les inégalités de la pensée.

Plus encore que Bertaut, Régnier a laissé le style artificiel de son idole Ronsard : il n’est plus question de composés, ni de provignement, ni de toutes les méthodes prescrites aux poètes qui veulent se faire une noble et riche langue. Régnier prend les mots de tout le monde, et quoi qu’il reproche à Malherbe, il fuit moins que lui ceux des crocheteurs. Comme Montaigne, il puise à la source commune et populaire : néologismes, mots savants, mots de terroir, ou de carrefour, ou de cour, tout lui est bon, pourvu qu’il le tienne de l’usage. Des façons de parler proverbiales, des dictons de Paris émaillent ses propos, et leur donnent une saveur un peu vulgaire, mais piquante. Au reste il écrit « à la vieille française », avec une belle furia, enjambant les obstacles de la syntaxe, forçant la phrase à le suivre par-dessus les barrières des règles, n’ayant souci que d’aller au but, et sans crainte de se casser le cou : toujours clair, toujours vif, toujours fort, il a des constructions troubles, incorrectes. incohérentes, étirées ou estropiées : que lui importe ? C’est le moins coquet des poètes, et qui n’est jamais plus à l’aise qu’en débraillé.

Ce poète avait plus de sentiment que de logique. Neveu de Desportes, il adorait Desportes, et Ronsard, et la Pléiade : quand Malherbe se mit à maltraiter ses dieux, il voulut les venger, et écrivit contre l’irrespectueux réformateur une admirable et incohérente satire, où déborde la poésie, mais où il n’y a pas ombre de sens critique. Il affectait de ne voir en Malherbe qu’un regratteur de mots et syllabes ; il lui reprochait de faire de la poésie une coquette fardée : il s’imaginait que Ronsard et Desportes, c’était le beau naturel, facile et nu ! Il ne s’apercevait pas qu’il écrivait contre Ronsard autant que contre Malherbe : car il écrivait contre l’art ; il ne voyait pas qu’il défendait ce que Ronsard avait combattu comme Malherbe : car il défendait le simple naturel, négligé, sans étude. Il ne voyait pas enfin qu’entre l’idéal de la Renaissance, et l’idéal classique, ce qu’il exprimait était seulement l’idéal de sa génération, l’idéal de Bertaut et de François de Sales :

Rien que le naturel sa grâce n’accompagne ;
Son front lavé d’eau claire éclate d’un beau teint…
Les nonchalances sont ses plus grands artifices.