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la préparation des chefs-d'œuvre.

lit les comédies destinées à la scène. Tous ces réduits et ces ruelles, où les Précieuses tiennent conversation, se multiplient dans la première moitié du siècle. Chez Mlle de Scudéry, aux samedis, moins de grand monde, et plus de gens de lettres : c’est une ruelle littéraire, un peu pédante. Mais voici la ruelle mondaine et pédante à la fois, et les précieuses ridicules : les mardis de la vicomtesse d’Auchy, qui lit un jour une paraphrase de saint Paul ; elle a pour amies Mme de Mosny qui apporte une fois un roman, Mme de Saintot, une ancienne actrice de la Foire, maintenant bas-bleu et fort écrivailleuse. Nul n’est admis, s’il ne compose et ne lit : un vieil officier, à qui la plume pèse, est forcé de barbouiller du papier pour être admis dans cette « Académie femelle », comme Chapelain écrit en 1638, s’égayant fort de ces « fées qui ont beaucoup d’âge et peu de sens ».

La province, comme de juste, suivit un peu plus tard, et l’on connaît la phrase de Chapelle sur les dames qu’il voit en 1656 à Montpellier : « À leurs petites mignardises, à leur parler gras et leurs discours extraordinaires, nous vîmes bientôt que c’était une assemblée de précieuses ».

Mais ce ne sont pas les originaux extravagants ni les imitateurs ridicules que nous avons à regarder. Les vraies précieuses — que Molière a visées et atteintes à travers les autres, — c’étaient Mme de Rambouillet, Mme de Sablé, Mme de Longueville, Mme de Maure, et le monde précieux a été l’école où se sont formés les Bussy et les La Rochefoucauld, les Sévigné et les La Fayette, les Maintenon et les Ninon, c’est-à-dire les plus exquis exemplaires de la société française dans la seconde moitié du siècle : voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue pour bien juger la préciosité. Elle n’est que le premier état de l’esprit mondain qui, sans changer son idéal, modifie sans cesse et rectifie ses apparences.

Le fond de l’esprit mondain, c’est de se séparer, avec tout ce qui le touche ou lui sert, de ce qui n’est pas le monde ; c’est d’établir, par-dessus la vulgaire distinction du vrai et du faux, du bien et du mal, un nouveau principe de distinction à l’aide duquel tout se jugera et se classera : ce principe est l’idée des convenances, qui crée un genre nouveau de beauté, la distinction ; une chose, un acte qui présentent une sorte de perfection supérieure dans la conformité aux convenances, sont distingues. Le naturel n’est pas impliqué dans la distinction, mais l’aisance. Elle ne comporte ni la bonté du cœur, ni la force de l’intelligence, mais elle indique certaines manières d’avoir, ou de n’avoir pas, du cœur ou de l’intelligence. Comme la sociabilité a formé et lie toujours le monde, la distinction est un art de plaire ; tout ce qu’on a en soi et sur soi,