Aller au contenu

Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
383
attardés et égarés.

parties de sa doctrine furent connue stérilisées jusqu’à Boileau, et qu’il ne fit pas école. De loin en loin, la facture d’une ode porte sa marque : mais il ne laisse en somme que deux disciples, Maynard et Racan. Encore tiennent-ils plus du goût général que j’ai tâché (le définir dans la littérature de Henri IV, que du caractère original de leur maître. De celui-ci pourtant Maynard [1] a pris le soin de la langue et du vers, la poursuite acharnée de la netteté et de la justesse : « Mes vers français, disait-il, ont tant de peine à me satisfaire, que de 100 j’en rejette 90 ». Malherbe lui reprochait de manquer de force : mais dans sa faiblesse laborieuse et châtiée, il a de forts, de triomphants réveils ; on a de lui des pièces qui valent le meilleur Malherbe. Il monte en perfection les lieux communs de l’amour, de la mort et de la fortune, il frappe excellemment les petites pensées de circonstance. Il voulait que chaque vers offrit un sens complet, et cette règle du détachement du vers était la mort du lyrisme ; elle condamnait la poésie aux découpures, au martelage, au pailletage, enfin au prosaïsme brillant et sec. Aussi Maynard fut-il naturellement conduit à détacher la strophe comme le vers, en sorte que ses odes s’égrènent comme des chapelets, et sont comme des collections de petites pièces sous un titre commun : naturellement aussi il devait se plaire et exceller aux rondeaux, aux sonnets, aux épigrarames, à tous ces genres qui sont le triomphe du martelage et du trait. Cependant il eut maille à partir avec les précieux, qui lui trouvaient encore trop de sens et trop peu de pointe : en vain se fàcha-t-il contre les orateurs frisés de ce siècle coquet ; on lui montra bien, quand il reparut à Paris après la mort de Richelieu, que ses vers et lui étaient des provinciaux. Déjà il ne se gagnait plus de gloire qu’à Paris, à la suite de la mode : la résidence était de rigueur ; et voilà pourquoi notre président d’Aurdlac ; qui méritait un peu mieux, a laissé moins de renommée que les Voiture et les Sarrazin. On lui doit bien une place en bon jour, entre Malherbe et Racan.

Racan[2], j’en ai peur, a dû son immortalité presque autant à ses bizarreries qu’à son génie. « Hors ses vers, dit Tallemant des

  1. Fr. de Maynard, né à Toulouse en 1582, secrétaire des commandements de Marguerite de Valois, fut nommé en 1618 président au présidial d’Aurillac, suivit en Italie (1634) l’ambassadeur M. de Noailles avec qui il se brouilla, et qui le mit dans la disgrâce de Richelieu. Il mourut en 1646, n’ayant fait que de rares séjours à Paris ou à la cour depuis 1618.

    Édition : Œuvres poétiques, Paris, Lemerre, 1885-88, 3 vol. in-12.

  2. Honorat de Racan, né en Touraine (1589), fut page du duc de Bellegarde, chez qui il connut Malherbe. Il servit au siège de la Rochelle. Il se maria en 1628, et se retira dans ses terres. Il mourut en 1670. — Édition : Œuvres complètes, Bibl. elzév., 2 vol. in-16, 1857. — A consulter : L. Arnould, Racan, Histoire anecdotique et critique de sa vie et de ses œuvres, 1896, gr. in-8.