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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/417

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trois ouvriers du classicisme.

Chapelain est très complexe ou, pour mieux dire, très confus. Érudit universel à la mode du xvie siècle, homme du monde à celle du xviie, ayant le goût de la politique, de l’histoire, de la philosophie, poète, ou du moins faiseur de poèmes, son vrai caractère, celui par lequel, même après la Pucelle, il conserva son autorité dans les salons et la confiance de Colbert, ce fut d’être l’ « expert », le critique des œuvres littéraires. Par malheur, il manquait ou de netteté ou de courage dans l’esprit ; il se laissait donner des admirations ou des dégoûts par la société où il vivait, et par les patrons qui le pensionnaient. Il mettait une préface à l’Adone de Marino : il rédigeait la censure du Cid de Corneille. Les complaisances injustifiées de sa critique ont rapetissé son rôle, et l’ont fait méconnaître à ses successeurs. Boileau voyait en lui l’apologiste des ouvrages précieux, et la conduite publique de Chapelain l’y autorisait.

Cependant le même Chapelain avait eu l’idée du Dictionnaire de l’Académie, ce monument de la langue classique : et il avait de toutes ses forces travaillé à réduire la tragédie aux unités, c’est-à-dire au type idéal du drame classique. Et le même Chapelain, dans ses lettres intimes qui nous découvrent sa véritable pensée, se montre essentiellement classique par toutes les préférences et par la direction générale de son esprit. Il ne parle que de bon sens, de raison, de jugement, et il ne parle que des règles, qu’il a trouvées dans les anciens, et qu’il impose aux modernes. A vrai dire, comment accorde-t-il les règles avec la raison ? il ne le sait trop lui-même. Et il manque aussi trop absolument du sens de l’art : cet élément essentiel des œuvres antiques, la beauté, il ne le découvre pas ; ces règles dont il fait tant de bruit, sont un mécanisme plutôt qu’une esthétique. Mais c’est déjà beaucoup que de voir s’ébaucher chez ce flatteur de Marino, cet ami de Voiture, ce docteur en titre de la société précieuse, chez l’auteur, pour tout dire, de la Pucelle, c’est beaucoup d’y voir s’ébaucher la formule de l’idéal classique, dans le rapprochement des deux termes qui la composent : souveraineté de la raison, et respect de l’antiquité.


3. DESCARTES.


À la différence de Balzac et de Chapelain, Descartes [1] est tout indépendant du monde : je dirais même qu’il est indépendant de

  1. Biographie : René Descartes (1596-1650) fait ses études chez les jésuites, à la Flèche ; puis il s’en va servir comme volontaire sous Maurice de Nassau et sous le duc de Bavière : il parcourt la Hollande, l’Autriche, la Hongrie, l’Allemagne, la