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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/448

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la première génération des grands classiques.

Français, mais simplement et plus, un homme. Corneille n’a pas songé — il ne le pouvait guère — à ressusciter le vrai Cid, le rude ambitieux et cupide baron du xie siècle, le mercenaire cruel et pillard qui souvent combattit les chrétiens et servit les Musulmans, l’indocile vassal qui fut trois fois exilé par son roi, et fièrement se lit une souveraineté dans Valence conquise. Mais aussi bien que le Cid de l’histoire, que le Cid toujours barbare du Poème ou de la Chronique Rimée, et que le Cid chevaleresque des romances, Corneille a refusé d’évoquer le Cid de Guillen de Castro, héros national, presque saint, mais beau cavalier et serviteur des dames, hidalgo tueur de Mores et diseur de pointes : il n’a gardé du caractère local de l’action et du héros, que ce qui était indispensable à la réalisation des sentiments généraux. C’est dire que l’intérêt du Cid n’est pas dans la couleur historique, mais dans la vérité humaine. Il n’importe pas, ou il n’importe guère, que le Cid et Chimène portent des noms espagnols. Car si cette dévotion de l’amour et cette exaltation de l’honneur sont réellement espagnoles, elles ne le sont pas pourtant exclusivement ; et c’est vraiment en tout pays qu’on peut voir deux volontés, éprises d’amour, éprises aussi d’honneur, subordonner l’amour à l’honneur par respect pour cet amour même, et se rendre dignes du bonheur en le refusant. Le cas n’est pas castillan, il est humain : et ainsi en sera-t-il dès lors de toute tragédie : grecque, ou asiatique, ou romaine, elle n’aura en réalité qu’un objet et qu’un modèle : l’homme. Le lieu et la date ne seront que des éléments de représentation concrète, des signes particuliers de l’universel.

Il restera pourtant dans le Cid français un reflet de l’Espagne, et c’est ce qui fera la magie, la séduction juvénile et charmante de l’œuvre. Le drame, si précis, si positif, si raisonnable, s’enveloppe d’une grâce chevaleresque par où le sujet révèle son lieu d’origine. Le Cid et Chimène restent des personnages de roman, mais des personnages de roman qui seraient vrais et sensés. Tandis qu’ici l’imagination tour à tour lyrique ou épique s’allie à la raison, à l’exacte et précise notation des faits moraux, plus tard Corneille aura surtout l’imagination mécanique, celle qui combine abstraitement les forces. Jamais il ne retrouvera cette couleur pittoresque et chaude, cet éclat de fantaisie poétique : et s’il en retrouve un jour quelque chose, ce sera lorsqu’il rentrera en Espagne, et en ramènera Don Sanche.

Après le Cid viendra Horace (1640) : le Cid tenait encore de la tragi-comédie ; Horace est une pure tragédie, non plus un exercice oratoire, à la façon de Sénèque, comme l’Hercule furieux de Rotrou, ou comme la Médée même de Corneille : mais un conflit dramatique de caractères fortement définis. Horace assure le