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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/470

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la première génération des grands classiques.

La licence des opinions et de la vie a deux causes principales. L’une est l’enivrement de la raison après l’effort et les conquêtes du xvie siècle. La pensée tend à s’affranchir de l’autorité de l’Église, elle s’éloigne de la tradition par diverses routes : aristotélisme alexandrin ou averroïste, panthéisme naturaliste, scepticisme et positivisme, philosophie scientifique. L’autre cause est le débordement des tempéraments, que favorisent en France les guerres civiles et religieuses. L’individu suit sa passion, cherche son plaisir, rejetant toute règle : et quelle règle plus gênante que la règle chrétienne ? Ainsi l’anarchie politique prépare l’anarchie morale.

Enfin, la diffusion de l’incrédulité est chez nous un cas de l’influence italienne. Vanini, brûlé à Toulouse en 1619, laissa des disciples dans notre midi : Théophile l’y a connu.

Sans ajouter foi aux chiffres donnés par le Père Mersenne (une statistique en pareille matière ne saurait être, même approximativement, exacte), nous devons croire que les libertins furent très nombreux sous Louis XIII : nombre de témoignages l’attestent. Il y en avait de deux sortes : les philosophes et érudits formaient un premier groupe, discret, peu bruyant, ennemi du scandale, faisant extérieurement profession de respecter la religion ; les uns se rattachaient à l’épicurisme relevé par Gassendi ; les autres suivaient, avec Le Vayer, la doctrine sceptique.

Le second groupe était celui des mondains, courtisans et femmes, avec quelques poètes et beaux esprits. Ceux-ci faisaient grand bruit, multipliaient les scandales et les indécences : ce qui leur plaisait le plus dans l’incrédulité, c’étaient les provocations tapageuses ; c’était de « faire les braves » contre Dieu. Ces libertins du monde n’avaient pas de doctrine arrêtée : ils se moquaient des mystères et des dévots, affichaient la tolérance, prétendaient suivre seulement la raison et la nature, et vivaient en gens pour qui c’est raison de satisfaire à leur nature.

L’Église essaya d’arrêter par des rigueurs le progrès du mal. Le Parlement, en France, lui prêta son appui : le procès de Théophile est un épisode de la guerre entreprise par les jésuites et les magistrats contre l’irreligion ; on voulait, par le supplice d’un poète, d’un homme de peu, épouvanter les grands dont il était le commensal et le conseiller.

Mais les rigueurs ne pouvaient vaincre à elles seules les esprits. Il fallut des freins intérieurs pour retenir l’âme avec son propre consentement et l’empêcher de glisser dans l’impiété scandaleuse.

La politesse, d’abord, y servit. L’honnête homme n’aime pas à se distinguer par des façons de penser téméraires ; et la religion est pour lui une partie du savoir-vivre. Il suffisait des progrès du goût,