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pascal.

ses habitudes ne fassent pas obstacle aux mouvements de l’âme, quand la grâce l’inclinera [1].

Ces discours montrent qu’il peut y avoir un moyen de savoir et des raisons d’agir comme si on savait. La religion n’est donc plus une absurdité à dédaigner. Pascal entama donc ses démonstrations, sûr d’être au moins suivi.

La religion est vénérable, parce qu’elle a bien connu l’homme. Pascal peindra à l’homme sa grandeur et sa bassesse, ses avantages et ses faiblesses, toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il lui donnera ainsi la curiosité, s’il a tant, soit peu de raison, de connaître d’où vient cette étrange disproportion de sa nature ; et pour résoudre cette énigme, il l’adressera aux philosophies [2] et aux religions, dont il montrera la vanité, la faiblesse et l’impuissance. Il lui fera remarquer ensuite le peuple juif, et ce livre, qui est son histoire, sa loi, sa religion : là l’homme trouvera le récit de la chute d’Adam ; et cette idée d’une nature d’abord excellente, puis déchue par le péché, illuminera les contradictions qu’on aura d’abord relevées. La religion chrétienne, héritière de la loi juive, se présentera donc comme une hypothèse, telle qu’en emploient les sciences, qui tire sa probabilité de son adaptation aux faits constatés. Seule de toutes les doctrines philosophiques et religieuses, la doctrine de la chute explique le contraste incompréhensible de grandeur et de bassesse, qui est le trait caractéristique de la nature humaine. Elle a de plus l’avantage d'offrir la seule idée de Dieu, et du culte du à Dieu, qui soit capable de contenter la raison. La religion donc qui propose cela, qui a bien connu l’homme et bien parlé de Dieu, si elle n’est pas vraie encore, mérite du moins d’être prise au sérieux, et respectée.

La religion est aimable, parce qu’elle promet le vrai bien. L’homme a naturellement le désir du bonheur. Or la religion chrétienne est une religion d’amour. Jésus-Christ est rédempteur, réparateur : à la nature déchue et misérable, il apporte le salut, le pardon. Les élus sont destinés à la joie éternelle.

Voilà un bien pur, complet, impérissable, tel donc que la raison l’exige pour s’y attacher : incapable de manquer, incapable de lasser.

4° Mais ces deux arguments sont des arguments indirects, qui rendent la religion probable et font désirer de la trouver vraie. Il faut montrer enfin que la religion est vraie, au sens rigoureux du mot, par des preuves directes et intrinsèques. Pascal étudiera la Bible, fera valoir que seuls les Juifs ont conçu Dieu dignement, établira la vérité des livres saints et du livre de Moïse en particu-

  1. Je n’oserais affirmer que ce morceau du pari ait été conçu et rédigé pour entrer dans l’Apologie.
  2. À la stoicienne, dogmatique, et à l’épicurienne, sceptique.