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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/507

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les mondains.

tendresse, irritée et froissée à tout instant, envie les tourments de l’absence ; la fortune qui s’en va, l’argent difficile à trouver, le dépouillement, lent et douloureux, pour payer les fredaines du fils, l’établir, le marier, mais surtout pour jeter incessamment dans le gouffre ouvert par l’orgueil des Grignan ; une petite-fille à élever, tant de veilles, de soins, d’appréhensions, pour voir la pauvre Marie Blanche, ses petites entrailles, disparaître à cinq ans dans un triste couvent ; la vieillesse, enfin, triste avec les rhumatismes et la gêne : telle est la vie de Mme de Sévigné [1].

Elle la porte gaiement, bravement ; elle a une nature énergique où l’intelligence domine. En général, elle a plus d’enjouement et de vivacité que de sensibilité. Elle n’eut de passion que pour sa fille, un peu aussi pour Marie Blanche, une affection calme pour son fils ; en dehors de cela, quelques amitiés solides et sereines, où son esprit prenait autant que son cœur : Fouquet, Retz, Mme de la Fayette. En dépit donc de ses effusions maternelles, ce n’est pas une passionnée. En sa jeunesse, elle est vive et gaie, et donne prise par là aux médisants ; cela s’amortit un peu avec l’âge, mais on retrouve encore la rieuse jeune fille dans la grand’mère. Spirituelle, ironique, maligne, elle n’est point tendre, sentimentale ni mélancolique. Les larmes lui manquent, et la pitié.

Elle aime la nature, et par là ses lettres mettent une note originale dans la littérature classique : mais elle ne mêle à cet amour ni sentimentalité ni rêverie. Elle en fait de la joie, comme de tout, et une joie physique, sensuelle, une joie des yeux et des oreilles. Un printemps, c’est du roux, puis du vert : en voilà assez pour l’enchanter. A Livry, aux Rochers, elle a des bois : mais ici c’est un vert, et là c’est un autre vert. Elle a ainsi des impressions, des plaisirs d’artiste.

Elle aime les livres : elle est passionnée de comprendre et de penser. Elle a des goûts de précieuse, d’exquise mais authentique précieuse. Les grandes aventures des romans la ravissent. Corneille l’enivre ; elle est charmée de Molière, réfractaire en somme à Racine, qu’elle ne sent pas ; preuve que sa nature est foncièrement intellectuelle. Au fond, elle saisit mieux les idées que la

  1. Marie de Rabutin-Chantal (1626-1694) perdit son père à dix-huit mois, sa mère à sept ans et demi ; elle fut élevée par son oncle de Coulanges, abbé de Livry, le Bien bon. Elle épousa en 1644 le marquis de Sévigné qui fut tué en duel en 165'. Elle maria sa fille à M. de Grignan en 1668. Elle vivait à Paris, où elle loua, en 1677, l’hôtel Carnavalet, ou à Livry, près de Paris, ou aux Rochers près de Vitré. Elle alla quelquefois à Vichy, en Bourgogne, en Provence où elle mourut.

    Éditions : Lettres, la Haye et Rouen, 1726, 2 vol. in-12 ; recueils du chev. de Perrin, 1734, 4 vol. in-12, 1754, 8 vol. in-12. Édition Monmerqué, coll. des Gr. Écriv., Paris, 1862, 14 vol. in-8. Lettres inédites, éd. Capmas, Hachette, 1876, 2 vol. in-8. — À consulter : Boissier, Mme de Sévigné, Hachette, 1887, in-16.