Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/518

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
496
les grands artistes classiques.

le remarque d’ordinaire. Entendons bien sa doctrine de la rime asservie à la raison ; cela veut dire que la forme doit réaliser avec fidélité, avec précision l’idée, et que la rime raisonnable est la rime expressive. Il condamne les rimes banales : il cherche à rimer richement, curieusement. Tout cela est d’un artiste. Mais surtout il a une rare délicatesse d’oreille : il a le sens et la science des rythmes, des sonorités, de leurs rapports subtils et efficaces au caractère de l’objet, aux émotions du lecteur. La matière de sa poésie est petite, le champ de son talent est étroit : mais la perfection de sa forme le fait grand, et donne une rare valeur à son œuvre. Rappelons-nous que Flaubert refusait d’en médire : il reconnaissait en Despréaux un artiste, un maître qui avait égalé son exécution à son intention.


2. LA POLÉMIQUE DES SATIRES.


Mais le critique, pour nous, dépasse le poète, ou l’artiste : et la raison en est qu’ici Boileau ne représente plus dans son œuvre son tempérament personnel, mais le génie de son siècle, et la commune essence des grandes œuvres.

L’œuvre critique de Boileau se divise en trois parties, qui correspondent à trois périodes de sa vie littéraire : dans les Satires, il attaque la littérature à la mode ; dans l’Art poétique, il définit sa doctrine ; dans les Réflexions sur Longin, il la défend.

Boileau fonda dans les Satires la critique littéraire, à peu près inconnue avant lui. On avait des Poétiques, des Arts, ou traités généraux et didactiques : et l’on avait, contre les œuvres particulières, des libelles, injurieux ou venimeux. On ne trouve d’examen impartial que chez Corneille, parlant de ses propres pièces, et chez D’Aubignac, qui mêla dans sa Pratique du théâtre la critique à la théorie. Sous cette réserve, Boileau fut vraiment le premier à se constituer conseiller du public dans le jugement des écrits, à entreprendre, sans passion personnelle, pour de pures raisons de goût, de démolir ou d’élever les réputations littéraires.

Le public fut surpris d’abord de la vigueur et de l’insistance de ses attaques, et nombre de gens le prirent pour un médisant forcené : Montausier mit vingt ans à lui pardonner. Mais parmi la foule des auteurs que les Satires atteignaient, certains noms plus cruellement raillés, plus impitoyablement ramenés sous les yeux du public, indiquaient l’intention du poète et le sens général de ses attaques : dans la satire I, Saint-Amant et Chapelain ; Chapelain dans la satire VI ; dans la satire II, Quinault et