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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/520

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les grands artistes classiques.

Boileau ne répondit à aucune attaque [1] : à quoi bon se justifier d’avoir fait servir sur une table parisienne des alouettes au mois de juin ? ou d’avoir pillé Horace et Juvénal ? à quoi bon démontrer qu’il n’avait pas manqué à la majesté du roi, ou qu’il n’était pas athée, ou qu’il n’avait pas été bâtonné ? Les deux idées sérieuses qu’il pouvait distinguer parmi les invectives et les sottises, qu’avait-il à y répondre ? puisqu’aussi bien l’une était un éloge : c’est quand Pradon lui donne le talent de peindre « en vers frappants » la réalité vulgaire ; — et l’autre exprimait bien ce qu’il était et voulait être : c’est quand tous, successivement, lui reprochaient de n’être qu’un bourgeois, et de n’entendre rien au sublime des ruelles. Il suivit donc bonnement sa voie, et quand il eut ridiculisé ses adversaires, par des traits si justement assenés qu’ils sont devenus inséparables de leur mémoire, et partie intégrante de leur définition, il exposa les principes de son goût dans son Art poétique, auquel la neuvième Épître se joint nécessairement.

Il n’y a pas à réhabiliter les victimes de Boileau. Il y eut dans sa polémique des exagérations, des brutalités, des exécutions sommaires : nous qui voyons quelle œuvre il faisait, où il tendait, nous ne pouvons lui en vouloir d’avoir un peu vivement prié les Chapelain et les Saint-Amant de faire place aux Racine et aux La Fontaine. Entre les deux luttes qu’il soutint, au temps de son triomphe incontesté, en 1683, Boileau a concédé du mérite à Chapelain, de l’esprit à Quinault, du génie à Saint-Amant, à Brébeuf, à Scudéry : est-ce assez ? En 1701, il adonné du génie à Cotin même : n’est-ce pas trop ? On a tenté en notre siècle bien des réhabilitations : on a pu relever Théophile, Saint-Amant ; mais les grandes victimes sur qui s’acharna Despréaux, il les a tuées pour jamais, et si bien tuées qu’il ne dépendait pas de lui-même de les ressusciter dans ses heures de clémence. Ce que l’on peut dire de mieux en faveur de quelques-uns, c’est que Boileau leur était redevable et continuait leur œuvre. Chapelain fut en son temps un des ouvriers de la doctrine classique. Mais, en 1660, il arrêtait le mouvement, loin d’y aider. Par indécision de goût, par complaisance d’homme du monde, il couvrait de son autorité la poésie à la mode, les précieux, les négligés : il n’était plus qu’un obstacle, dont il fallait à tout prix débarrasser la littérature. Et de là, la complète, et nécessaire, et irrévocable exécution des Satires.

  1. Il se donna le tort pourtant de recourir à l’autorité pour empêcher la représentation de la comédie de Boursault.