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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/523

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boileau despréaux.

il l’omet comme le conte, comme l’épître, comme le genre didactique, qui tous peuvent se traiter également en prose et en vers.

La part marquée, aussi grande que possible, aux imperfections de l’Art poétique, il y reste une grande et forte doctrine, faite de deux pièces finement ajustées : elle combine le rationalisme moderne avec l’esthétique gréco-romaine ; elle mêle les deux courants du cartésianisme et de l’humanisme.

Le point de départ de l’Art poétique est celui du Discours de la méthode : la raison, départie à tous, est en nous la faculté supérieure, dominatrice et directrice des âmes, douée spécialement de la propriété de discerner le vrai du faux. Toutes les pensées et les expressions des pensées doivent avant tout satisfaire la raison :

Aimez donc la raison : que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre et leur prix.

La raison fait donc la beauté : donc encore, la beauté sera quelque chose d’absolu, de constant, d’universel ; car ce sont là les trois caractères par lesquels les choses satisfont à la raison. Mais ainsi, la beauté sera identique à la vérité :

Rien n’est beau que le vrai.

Mais, le vrai, à son tour, c’est la nature

Mais la nature est vraie…

Et elle porte avec elle son évidence :

…Et d’abord on la sent.

Ainsi la nature fournit à la poésie un objet universellement et immédiatement connu pour vrai, par la représentation duquel la poésie fournit un plaisir raisonnable, c’est-à-dire universellement et constamment perceptible à tous les esprits : voilà la première idée fondamentale de l’Art poétique. Raison, vérité, nature, c’est tout un [1] ; et Boileau, par ses formules favorites, qui ont révolté tant de lecteurs superficiels, pose seulement en principe le respect du modèle naturel.

La doctrine qu’il établit est franchement « naturaliste ». Quand

  1. Voir la raison identifiée à la passion, quand la passion est la nature à rendre, dans ces vers de Molière, Misanthrope, 1, 2 :

    Et ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
    Que ces colifichets dont le bon sens murmure
    Et que la passion parle là toute pure ?