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Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/535

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molière.

mées, la comédie de Molière relève de la farce. Les ennemis du poète l’accusaient d’avoir acheté les mémoires de Guillot Gorju : c’est une fable, mais vraie d’une vérité de légende. Molière est un farceur. Remarquez son progrès : il fait d’abord l’Étourdi et le Dépit, pièces littéraires du type usuel en 1650, analogues aux pièces des Boisrobert et des Scarron. Mais est-ce de là que sortent les Précieuses, Sganarelle, ces petits actes, ses premiers chefs-d’œuvre, dans lesquels il prend conscience de son idéal ? Ne sortent-ils pas plutôt de ces farces qu’il composait aussi en province, et dont quelques titres et canevas nous sont connus. Don Garcie ensuite est une rechute dans la littérature à la mode : mais viennent l’École des maris, l’École des femmes, où tous les éléments italiens et latins n’empêchent pas qu’on sente l’esprit mordant et positif des conteurs et des farceurs français. N’entrevoit-on pas aussi plus d’une fois que les farces de la jeunesse de Molière ont été les germes des comédies de sa maturité ?

En réalité Molière est parti de la farce : tout ce qu’il a pris d’ailleurs, il l’y a ramené et fondu, il l’en a agrandie et enrichie. La farce lui a appris à faire passer l’expression naïve et plaisante des sentiments avant l’arrangement curieux de l’intrigue et les grâces littéraires de l’esprit de mots. Et si sa comédie est à tel point nationale, c’est qu’il ne l’a pas reçue des mains de ses devanciers comme une forme savante aux traditions réglées ; il l’a extraite lui-même et élevée hors de la vieille farce française, création grossière, mais fidèle image du peuple ; il l’a portée à sa perfection sans en rompre les attaches à l’esprit populaire. N’en déplaise à Boileau, si Molière est unique, c’est parce qu’il est, avec son génie, le moins académique des auteurs comiques, et le plus près de Tabarin.


2. MOLIÈRE : SA VIE.


L’œuvre de Molière est objective et impersonnelle : on ne saurait se dispenser pourtant de jeter un coup d’œil sur sa vie, qui nous aide à comprendre comment ses comédies offrent un si solide fond d’observation morale.

Peu d’existences furent plus rudes [1] : la vie de comédien nomade

  1. Biographie. Jean-Baptiste Poquelin, né à Paris, le 15 janvier 1622, fils de Jean Poquelin, tapissier valet de chambre du roi, de qui il eut en 1637 la survivance, fut élevé au collège de Clermont, et se fit recevoir avocat à Orléans. En 1643, il fonde avec les Béjart et quelques amis l’Illustre Théâtre, qui tombe en déconfiture. À la fin de 1646, la troupe quitte Paris. Elle est signalée en 1648 à Nantes, Limoges, Bordeaux, Toulouse, en 1650 à Narbonne ; en 1651, Molière vient a Paris ; en 1653, il